CHAIR: Sébastien Févry

Martin Bonnard et Rémy Besson
Les enjeux historiographiques du webdocumentaire

À première vue, on pourrait classer le webdocumentaire au rayon des formes médiatiques ayant bénéficié d’un engouement aussi intense qu’éphémère autour des années 2010. Son utilisation continue pourtant à se développer au tournant des années 2020, mais en dehors de son ancrage initial, un intérêt particulier pour cette forme audiovisuelle hétérogène et délinéarisée gagnant, en effet, du terrain au sein de la recherche en histoire. Ce constat nous conduit à soulever des questionnements de l'ordre méthodologiques et à identifier des enjeux qui ont à voir tant avec l’écriture de l’histoire qu’avec l'histoire publique.
Le webdocumentaire permet d’agréger des témoignages (parfois fournis par les internautes eux- mêmes), des images d’archives, des données historiques dans certains cas massives, etc. Manipuler et donner sens à ces sources hétérogènes constitue une tâche nouvelle pour de nombreux historiens et historiennes, tout en renvoyant à des interrogations récurrentes à propos de la sélection, de la retouche et de la prise en considération d’aspects esthétiques et éthiques dans l’usage des sources documentaires. Ces choix n'ont pas seulement à voir avec les logiciels utilisés et les compétences techniques des équipes de création, mais aussi avec les orientations historiographiques adoptées de manière consciente ou non. Il est, en effet, possible de créer des webdocumentaires en les inscrivant dans des modèles aussi variés que ceux de l’histoire quantitative, de l’histoire orale, de la microhistoire, de l’histoire locale, de l’histoire des représentations et des sensibilités, etc. Cela n’est pas sans conséquence sur leur format et la place qu’ils accordent à leurs sources.
Le retour d’expérience que nous proposons porte sur la mise en place d’un dossier thématique intitulé « webdocumentaire et enjeux historiographiques » que nous codirigeons dans la revue transdisciplinaire à comité de lecture Conserveries Mémorielles. Ce dernier est composé d’une dizaine d’articles écrits par des chercheurs et chercheuses québécois, suisses, allemands, chinois et français, intéressé.e.s par l’écriture de l’histoire et les enjeux mémoriels. À travers l’accompagnement de la publication de ces textes, nous observerons, l’apport du format
webdocumentaire aux modes de médiation du passé préexistants (film documentaire, exposition, etc.). Nous faisons ressortir l’heuristique des échanges autour des méthodes et des usages des archives ainsi que des outils numériques au sein des équipes de production. Nous mettons ainsi en lumière des voies de diversification de la pratique de l’histoire et plus généralement d’une transformation d’une forme de regard (audiovisuel, informé et rigoureux) porté sur le passé.

Viva Paci
Comment redonner complexité à une archive asséchée ? Un spécimen naturalisé et son biotope

Dans le cadre d’un plus vaste programme de recherche « Cinéma et musée. Taxidermies animales et autres archives du vivant » (CRSH 2021-2024), cette présentation proposera d’utiliser un spécimen d’animal naturalisé, conservé et exposé dans un Muséum d’histoire naturelle bien connu, comme un élément d’archive. Devant un artefact paradoxal (vivant figé ; mort exhumé ; impermanence embaumée ; animal captif ; etc.), exposé dans un musée, une possibilité éthique que veut offrir le travail de la chercheure est d’une part de s’adonner à une fréquentation assidue et, d’autre part, d’explorer des pistes de recherche archéologiques (synchrones, anachroniques ou critiques) pour redonner à l’animal une complexité que cette exposition a effacée. En effet la mise en scène muséale, bien que vouée à la conservation et à la transmission, est dans les faits un ontexte qui évacue tout lien raisonnable avec le biotope de départ, mais aussi toute trajectoire d’archive (datation, interventions, conditions de conservations, etc). Qui a chassé, quand et où, et comment, ce sont des informations disponibles au savoir, suite à longues et peu accessibles recherches. Le lien avec de la documentation visuelle de l’animal dans son habitat est aussi retraçable, mais encore une fois, les chemins sont de travers, et suivant les styles d’archivage d’institutions différentes. L’ensemble des biais, idéologiques, médiatiques et techniques, peuvent quant à eux être reconstitués avec une recherche transversale. Mais que faire de ces pièces démontées et ombrageuses du récit ? Comment partager la biographie du mort avec des visiteuses de muséum ? Recherches documentaires, archéologiques et intermédiales, sur un spécimen taxidermisé, qui nous fournissent les pièces hétérogènes et fragmentaires d’un récit documentaire critique, dont la forme, entre cinémas du réel et muséographie de la nature : c’est le parcours que nous proposons d’entreprendre, à partir d’une relique animale.

Alexandre Klein
Donner vie à l’histoire du travail infirmier en psychiatrie : les atouts des archives dans la création webdocumentaire

La diffusion et la valorisation des archives restent un enjeu de taille pour les historiens et les historiennes. Les supports habituels de la diffusion de la recherche (article, ouvrage collectif, monographie) laissent en effet peu de place à leur matérialité ainsi qu’à leur exposition. Pourtant, en plus d’assurer la fondation de la recherche historique elle-même, les archives peuvent être de formidables moteurs de sa diffusion. Leur valorisation permet en effet de donner à voir tant la concrétude de l’Histoire que la matérialité de son étude. C’est ce que nous avons pu constater lors de la réalisation du webdocumentaire Les infirmières de la folie (2022). Ce dernier, qui offre une plongée dans l’histoire du nursing psychiatrique au Québec au XX e siècle à partir des parcours de trois infirmières reconstitués en cinéma d’animation, s’est en effet construit à partir et autour des archives, de manière tant à favoriser l’immersion des utilisateur.rices dans cette histoire qu’à valoriser ces matériaux uniques et précieux. C’est ce que nous souhaitons détailler dans cette communication qui reviendra sur cette expérience et sur ses apports à la réflexion sur la valorisation des archives par la pratique documentaire.