09.40 Frère Marie-Victorin, la photographie et une randonnée improbable au cœur d’un patrimoine à l’abandon
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Le frère Marie-Victorin (1885-1944) est une figure emblématique du développement des sciences au Québec dans la première moitié du vingtième siècle. De son vrai nom Conrad Kirouac, Marie-Victorin aura su contribuer au développement scientifique du Québec notamment par ses travaux de recherche dans le domaine de la botanique qui mèneront au monumental ouvrage intitulé « La flore laurentienne », publié en 1935, qui demeure encore à ce jour une référence incontournable.
Mais le legs de Marie-Victorin ne s’arrête pas là. Habile communicateur et instigateur de grands projets, c’est à Marie-Victorin qu’on doit la création, en 1936, de ce remarquable équipement culturel qu’est le Jardin botanique de Montréal. En outre et en lien avec son travail de recherche sur les plantes indigènes du Québec, Marie-Victorin aura constitué un impressionnant herbier qui, au-delà de la mort de son créateur, a continué d’être enrichi et qui contient aujourd’hui plus de 700 000 spécimens de plantes d’ici et d’ailleurs.
Comme d’autres chercheurs scientifiques de son époque, Marie-Victorin a laissé d’importantes archives personnelles où se trouvent un nombre important de photographies prises tout au long de ses travaux de recherche sur le terrain de 1910 à 1944, année de son décès survenu tragiquement à la suite d’un accident de la route. C’est à l’occasion d’une recherche iconographique sur l’île d’Anticosti que je me suis d’abord intéressé aux photographies de Marie-Victorin. Au cours de cette recherche et en consultant diverses sources archivistiques, je devais découvrir que Marie-Victorin avait à deux reprises « herborisé », selon l’expression qu’il utilisait lui-même pour décrire le travail de terrain, Anticosti dans le dessein de dresser un inventaire qui soit le plus complet possible de la flore de la Minganie.
Au cours de ses campagnes de recherche, Marie-Victorin utilisait la photographie bien sûr pour rendre compte du travail sur le terrain et ainsi documenter la progression de ses travaux, mais, en analysant de plus près la production photographique du scientifique, on a tôt fait de constater que l’intention documentaire déborde souvent le cadre spécifique de la recherche pour s’étendre aux personnes, aux lieux, aux paysages, voire aux événements qui surviennent au cours des recherches. Mais, attention, Marie-Victorin n’est pas un véritable photographe : ses images ne sont pas toujours bien cadrées et, dans le cas des photographies se rapportant à Anticosti, elles ne sont pas toujours bien nettes, ni même bien exposées. De plus, de nombreuses photos ont eu à faire les frais de mauvaises conditions de conservation qui en ont irrémédiablement abîmé la qualité. Manifestement, Marie-Victorin ne s’intéressait pas vraiment à ce genre de choses et on peut penser que pour lui le travail de l’image était secondaire. Tel est du moins ce que l’on peut en déduire d’un matériel dont l’aspect premier est en quelque sorte rebutant.
Mais ce matériel visuel est-il à ce point rebutant ? Plus encore, que faut-il faire de ce type d’images qui aboutissent dans les archives et comment en faire ressortir, en dépit des imperfections, les qualités intrinsèques ? Je voudrais donc faire ressortir les qualités particulières des photos de Marie-Victorin en les mettant en relation notamment avec certains écrits de l’auteur (dont « les croquis laurentiens ») et en posant la question de la capacité discursive d’images que l’on qualifier de périphériques, pour ne pas dire accessoires, par rapport à l’œuvre principal d’un grand scientifique. J’aborderai aussi d’autres exemples de ce type de patrimoine photographique méconnu, entre autres celui du grand ethnologue et folkloriste Marius Barbeau et celui également du non moins important ethnobotaniste Jacques Rousseau.