10.00 L’art, le déchet, comme atteintes de la culture
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La problématique écologique est devenue une préoccupation de la société d’accumulation, annonce de l’ère d’une anthropocène où la suprématie de la culture est considérée comme un danger pour la nature. L’eschatologie contemporaine pose l’horizon de la culture comme un risque. Si cette société produit davantage de richesses, il lui faut en même temps limiter ses déchets. La question de la réduction des déchets a un versant social et citoyen, celui d’une « vie sans » (sans plastique, sans polluants, sans carbone…), une vie réduite à elle-même. Utopie d’une existence si équilibrée qu’elle tend à se consumer sans restes, atteignant l’équilibre entre production et consommation. Comme si la discrétion d’une vie sans débordements (pas de surplus) et d’un art de la disparition (pas de restes) devenait une exigence de moralité. La vigilance écologique est d’actualité, les injonctions se multiplient : on entend réutiliser les objets, réduire la consommation.
À l’opposé de ce discours, nous tenterons de montrer comme le déchet permet de penser la culture. La saleté ouvre à la culture. Le nettoyage et l’exclusion des déchets sont une (re)mise en ordre de la culture, comme affirmation de son système et de son classement. La culture maintient en vie ses productions, ses objets, et, au seuil de leur non-recyclabilité, les congédie comme déchets ultimes. L’impureté est le privilège de la culture. Il s’agit de dire sa propre finitude, de son risque de perte. Et de cette perte, la culture souhaite se défaire. Se défaire de sa propre fin, comme refus de sa finitude. Refus de côtoyer la mort, de vivre à ses côtés.
Nous nous intéresserons au travail de l’artiste allemande Swaantje Güntzel, qui, tout au long de ses œuvres, interpelle la place et le traitement des déchets dans et par la culture en les réintroduisant en son centre. Elle ramasse, collecte les déchets et les rapporte là d’où on les avait chassés, ou parfois abandonnés en pleine nature. L’artiste pose la question du pouvoir de salissure de la culture en réintroduisant des déchets, sous forme de performance, au milieu des rues marchandes des villes d’Europe, de leurs musées ou parfois des espaces naturels protégés, comme des lacs ou des forêts. Elle vient ainsi poursuivre un questionnement que des artistes comme Robert Smithson, Island for Broken Glass (1970), ou, plus tard, Jochen Gerz, Miami Islet (1998), ont entrepris autour de l’idée que le déchet, comme l’art lui-même, posent tous deux la question d’une atteinte de la culture.