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11.05  La patrimonialisation du pire a-t-elle des vertus véritatives et préventives ? Retour sur le classement au patrimoine mondial du Dôme d’Hiroshima 20 ans après

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11:00, Saturday 4 Jun 2016 (30 minutes)

L’idée que le patrimoine puisse « changer » l’ordre des choses apparaît de prime abord contradictoire avec la fonction de protection et de conservation qu’on lui attribue ordinairement. Or, le choix patrimonial relève lui-même d’un régime d’historicité lié au moment où il est engagé, et il sert, de manière avouée ou cachée, consciente ou non, un projet investi d’une fonction politique. Cela semble d’autant plus valable pour le patrimoine des guerres et des conflits, à la fois remembrance historique et référence axiologique. 

L’UNESCO a été confrontée aux demandes de distinction au patrimoine mondial des lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Par l’universalité que confère ce statut, il s’agissait de construire un patrimoine du pire doté de vertus « véritatives » et préventives. En 1979, le camp d’Auschwitz bénéficie de cette inscription. En 1996, c’est le Dôme de Genbaku de la ville d’Hiroshima à qui l’institution internationale accorde ce classement. La volonté de considérer ce Dôme comme « le témoin transmettant la tragédie d’Hiroshima aux générations à venir » rencontra des oppositions. Alors même que le Japon est l’allié stratégique des États-Unis, ceux-ci vont déplorer « l’absence de perspective historique » de la demande japonaise qui ne permettait pas une « compréhension » adéquate de la « tragédie d’Hiroshima ». En effet, la reconnaissance internationale que le « pire » était constitué par la bombe atomique lancée par les Américains introduisait une nouvelle hiérarchie de l’horreur dont l’effet était de tempérer les crimes de guerre des Japonais. 

À l’occasion du vingtième anniversaire de ce classement, il est proposé de revenir sur les enjeux et les ambiguïtés du processus de patrimonialisation de l’événement Hiroshima au Japon. Notre présupposé, centré principalement sur un décryptage de l’offre muséographique nippone, est que l’utilité attendue du patrimoine de la guerre n’a pas eu lieu là où on l’aurait imaginée parce qu’elle a servi d’autres fins, parce que la construction de cette mémoire s’est faite en partie contre l’histoire. Tout s’est passé comme si la dimension universelle et quasi-métaphysique acquise par cette catastrophe (ou ce « crime », selon certains) avait eu un effet de neutralisation et d’innocentement de l’horreur à laquelle elle avait mis fin, à savoir la politique d’hégémonie et de destruction du Japon « fasciste ». 

Nous proposons de dévoiler le triple enjeu autour duquel est organisée la stratégie patrimoniale nipponne : 

-la survalorisation d’un patrimoine « pacifique » et compassionnel (le musée et le parc du Mémorial de la paix à Hiroshima), destiné aux pays avec lesquels le Japon était en guerre, dont l’objectif est de victimiser le pays tout en le dédouanant de sa défaite (par la technologie) ; 

-l’invention d’un patrimoine à visée « géopolitique », puisque ce musée est peut-être le seul au monde qui ajoute à sa fonction de lieu de mémoire une revendication géopolitique à laquelle les visiteurs sont conviés à s’associer : l’interdiction des armes atomiques (le texte de classement du Dôme au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1996 y fait explicitement allusion) ; 

-la constitution discrète et progressive d’un patrimoine « héroïque » à usage purement national (mémorial de Yushukan et musée de Yamato, ouvert en 2005), qui n’aurait rien appris ni rien oublié de la guerre. 

 

Le Japon serait donc aux prises avec un patrimoine schizophrénique procédant d’une tendance à la relativisation de sa responsabilité dans l’histoire de cette guerre. Son utilité première proclamée aurait donc été détournée au profit d’une politique de réaffirmation nationale identitaire.

Robert Belot

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