14.30 Valeurs et échelles géographiques dans les processus de patrimonialisation
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Cette proposition souhaite présenter une réflexion sur les valeurs à l’œuvre dans le processus d’extension spatiale que connaît actuellement la patrimonialisation. La patrimonialisation, entendue comme un processus d’appropriation d’objets ou de lieux qui se voient conféré un certain nombre de valeurs, ne se résume pas aux politiques de protection, même si elles en sont l’expression la plus visible : elle peut être portée par divers groupes sociaux. Les valeurs, quels qu’en soient les porteurs, forment le socle discursif qui légitime la qualité patrimoniale des lieux. Ce sont ces discours sur les valeurs, comprises non comme des caractères constitutifs de la chose, mais comme des préférences socialement et culturellement construites, qui permettent une véritable appropriation patrimoniale. L’extension patrimoniale englobant des espaces de plus en plus vastes, on peut s’interroger sur le processus spatial et l’évolution des discours patrimoniaux véhiculés à ces échelles géographiques.
Notre objectif, à travers l’étude de deux types de patrimoines étendus dans le sud-ouest de la France, la montagne pyrénéenne et le massif forestier des Landes de Gascogne, est donc de voir si cette tendance spatiale fait évoluer les logiques de représentations porteuses des valeurs patrimoniales. À partir d’un travail d’enquêtes par entretiens semi-directifs et d’une analyse de documents institutionnels (sites Web, fiches de classement, plans de gestion, etc.), nous émettons l’hypothèse que ces lieux patrimonialisés fonctionnent comme une synecdoque géographique, procédé rhétorique qui jouerait particulièrement à ces nouvelles échelles géographiques. Dans un cas, la patrimonialisation s’opère à partir de lieux précis dont la multiplication conduit finalement à englober tout un ensemble spatial : le moins pour le plus. C’est le cas de la montagne pyrénéenne. Dans l’autre cas, c’est le « tout spatial », la valeur de l’ensemble, qui permet la qualification patrimoniale de lieux « ordinaires » : le plus pour le moins. C’est le cas de la forêt landaise.
Nous nous sommes donc arrêtée sur le moment où s’est enclenchée cette généralisation spatiale de la patrimonialisation : dix-neuvième siècle pour la montagne, vingtième siècle pour la forêt. Dans le processus le plus ancien de patrimonialisation, chaque haut lieu était distingué pour une valeur particulière : esthétique, pittoresque, scientifique, historique, légendaire… Ces valeurs n’étaient généralement pas mobilisées ensemble dans un même lieu. La valeur scientifique de rareté n’avait, par exemple, aucune relation avec la vision pittoresque davantage tournée vers des paysages humanisés. Par contre, dans le cadre de l’extension spatiale, ces valeurs anciennes s’imbriquent avec un nombre croissant de nouvelles valeurs : valeur d’ambiance (tournée vers le rapport personnel de l’individu aux lieux) et valeur aménagiste (davantage politique afin de mettre en valeur le lieu).
Cette agrégation de valeurs pose la question de leur cohabitation et de leur acceptation collective. Dans les deux cas observés, le processus de patrimonialisation élargi mélange les valeurs en s’appuyant tantôt sur des éléments naturels, tantôt sur des éléments anthropiques, si bien que la montagne et la forêt balancent entre patrimoine naturel et patrimoine culturel. Les valeurs s’additionnent, s’hybrident et parfois s’excluent selon les acteurs en présence. Se pose notamment la question du passage entre valeurs subjectives de l’individu face à ces grands espaces et critères institutionnels de reconnaissance patrimoniale. En effet, l’expérience et les savoirs individuels, qui amènent émotions et discours patrimonial de la part du public, s’établissent à partir d’échelles paysagères qui font sens collectivement mais sont peu en phase avec le discours actuel de justification officielle où les patrimoines montagnards ou forestiers se confondent avec les notions de milieux, d’écosystèmes ou d’environnement et qui traitent le patrimoine comme une réponse locale aux enjeux écologiques planétaires, autour de la biodiversité notamment.