11.30 De la une à la cimaise : la patrimonialisation des photographies lauréates du prix Pulitzer au Newseum de Washington
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Ma communication s’inscrit dans une recherche sur les processus de patrimonialisation du photojournalisme aux États Unis et les enjeux de cette tendance selon laquelle des photographies de presse deviennent des lieux de mémoire, notamment en faisant l’objet de muséification, interrogeant alors la valeur commémorative de la photographie de presse. Cette présentation se porte sur la muséification d’icônes du photojournalisme, basé sur une étude de l’exposition de la Putlizer Prize Photographs Gallery au Newseum (Washington, D.C.). Pour des photographies comme celles présentes dans cette exposition, la muséification n’est qu’une étape de leur patrimonialisation déjà bien amorcée par leur consécration par le prix Pulitzer, mais elle se révèle d’un grand intérêt dans la mesure où s’y opèrent à la fois un changement de temporalité—de l’actualité à l’histoire—et de nature—de document d’information au monument patrimonial. Ce cas d’études sera analysé comme catalyseur de processus de patrimonialisation d’une profession en crise.
Si la photographie de presse est présente dans les musées d’art américains dès 1937 et la célébration du centenaire de la photographie par Newhall, son utilisation récente dans une exposition telle que celle du Newseum n’a pas la même signification. Le MoMA lui donne une place à égalité avec les autres images, au contraire, le Newseum l’isole du reste de la production photographique et la porte aux nues pour sa caractéristique journalistique. Toutefois, alors que la qualité première de la photographie de presse, sa news value, se fonde sur le temps présent et l’information, ces deux attributs semblent paradoxalement souvent absents lorsqu’elle est convoquée dans un contexte patrimonial tel que ces deux institutions.
À l’entrée de la galerie Pulitzer du Newseum, est réuni l’ensemble des photographies couronnées par le prix, et présentées dans une telle économie de contexte que la valeur d’information de ces images—qui on le sait est largement conditionnée par son contexte éditorial—est sans doute nulle pour de nombreux visiteurs; la nature même de l’image de presse se trouve alors altérée, les photographies pulitzerisées du Newseum ne documentent plus—ou du moins, elles ne documentent plus la même chose. Cette exposition nous dit deux choses : d’une part, qu’il s’agit d’icônes, et donc d’images que nous devons connaître/reconnaître, elles se passent de contexte dans la mesure où elles sont "connues de tous" ; et d’autre part, que le sujet de cette sélection des grandes images du photojournalisme n’est finalement pas tant les évènements représentés que le photojournalisme lui-même. Les photographies de la Pulitzer Gallery ne racontent pas l’Histoire, elles commémore l’histoire du photojournalisme, dans un temple voué à la promotion du journalisme et situé à deux pas du Mall de Washington. Patrimoine et mémoire sont les vecteurs d’une identité, "une identité à retrouver, à exhumer, à préserver, voire à découvrir ». L’exposition du Newseum apparaît comme une manifestation du lien symbiotique entre les médias américains et la nation américaine (Frau-Meigs), où les journalistes apparaissent comme les garants de la liberté d’expression, un des piliers de l’idéal américain. La figure du journaliste, comme celle du pompier ou du soldat, se prête volontiers à la posture du héros; Clark Kent n’est-il d’ailleurs pas journaliste quand il n’est pas Superman ? Cette étude analysera donc deux hypothèses: d’une part, celle d’un changement de statut de la photographie de presse muséifiée et étudiera notamment ses propriétés commémoratives; d’autre part, celle de la construction d’une identité nationale, voire patriotique, à travers une telle exposition.