10.00 Le moutya des Seychelles en tant que patrimoine culturel immatériel : défis et stratégies pour « sauvegarder » une pratique musicale
My Session Status
Lorsque j’ai débuté mes recherches doctorales aux Seychelles, en janvier 2011, le Ministère de la Culture local m’a clairement indiqué son désir de voir le moutya — une pratique musicale reconnue officiellement en tant qu’héritage des esclaves faisant aujourd’hui partie du « folklore » seychellois — acquérir le statut de patrimoine culturel immatériel (PCI) auprès de l’UNESCO. Le moutya, de même que l’ensemble des enjeux autour de cette pratique, est rapidement devenu le centre de ma recherche. En cherchant à comprendre ce qu’est le moutya, ce qu’il représente pour les Seychellois, de même que les raisons motivant le choix de cette pratique plutôt qu’une autre, j’allais non seulement rechercher et documenter cette musique, mais également le processus actuel de « patrimonialisation » et les valeurs qui lui sont associées par ses différents acteurs (principalement les institutions officielles, les musiciens et les porteurs de la « tradition »).
Toutefois, la conception et la définition officielle du moutya par les autorités locales en matières de culture ne correspondent qu’en partie aux pratiques que j’ai pu observer sur le terrain. Par « moutya otantik » (moutya authentique), les Seychellois se réfèrent à une pratique sociale et musicale en plein air et se déroulant le soir, dans laquelle un homme chante une intrigue et les femmes répondent, accompagnée de battements de tambours (généralement au nombre de trois) et d’hommes et de femmes qui dansent. Tous ces éléments devraient être organisés en fonction de codes spécifiques. Je n’ai pas pu observer cette pratique telle que décrite durant douze mois de recherche sur le terrain aux Seychelles. J’ai toutefois pu observer différentes pratiques reconnues par certains Seychellois comme étant du moutya. Lemoutya otantik semble être le résultat d’un processus d’institutionnalisation et de folklorisation qui l’a mené sur scène et qui s’est déroulé au début des années 1980. Cette période correspond à une Renesans kiltirel (Renaissance culturelle), sorte de politique culturelle de valorisation de l’ensemble des pratiques culturelles locales suite au Coup d’État de 1977 qui a instauré un régime socialiste à parti unique.
Cette présentation a pour objectif de présenter les défis auxquels fait face un petit pays insulaire — avec son histoire sociale, culturelle et politique spécifique — pour répondre aux critères des politiques de l’UNESCO, ainsi que les stratégies utilisées localement pour « sauvegarder » le moutya. Nous verrons que celles-ci sont soit l’initiative du Ministère ou encore qu’elles requièrent son support et son approbation pour se concrétiser et toucher l’ensemble de la population seychelloise. De plus, elles résultent principalement dans la mise en scène et la mise en tourisme dumoutya. Quelques initiatives seront présentées et discutées, dont la mise en place du festivalDimans moutya, depuis juillet 2014. En tant que phénomène de « relance », le festival concède une priorité au passé tout en valorisant la nouveauté. Envisager le moutyaen tant que patrimoine ne consiste pas seulement à « enregister, énoncer, stocker ce qui nous vient du passé, mais à l’interpréter, à en assurer la transitivité », car, pour exister pleinement, la musique doit être mise en acte.
Le cas du moutya constitue un exemple d’une prise en charge institutionnelle d’un patrimoine culturel immatériel, principalement de la part du Ministère qui tente d’en assurer la pérennité et la légitimité au sein de la population afin de consolider l’unité et l’identité nationales ainsi que de promouvoir la culture seychelloise. Ce projet ne peut toutefois être mené sans la participation d’individus qui possèdent des compétences particulières, dont les musiciens.