Au courant des dernières décennies, nombre de grands musées d’art occidental sont passés d’institutions à « organisations culturelles de marché », adoptant une gestion managériale aux visées stratégiques, développant des partenariats d’affaires et s’inscrivant comme acteurs dans les marchés de l’art, du divertissement et du tourisme. L’idée était de mobiliser toujours plus de visiteurs et de développer une autonomie en contexte de diminution du financement public. Ce qu’on appelle le « tournant communicationnel/commercial » des musées marque effectivement un déplacement des activités muséales, depuis les collections vers les personnes. Les institutions se sont graduellement ouvertes sur l’extérieur et ont activé une nouvelle fonction, celle de servir les publics. Les modalités d’interactions privilégiées par les grands musées d’art, où l’exclusivité du lieu et l’abstraction des œuvres complexifient la transmission culturelle, ont alors évolué. La communication, sous toutes ses formes (architectures spectaculaires, expositions temporaires, médiation culturelle, outils numériques, marketing, etc.), devient conséquemment une dimension fondamentale au cœur de ces établissements. Elle permet tant la marchandisation des propositions muséales que le contact avec une multitude d’audiences et de partenaires. Un flou apparaît ainsi : se rapprocher des publics sert-il à s’activer au sein de sa communauté et à se responsabiliser socialement ou à rentabiliser son offre et à étendre sa notoriété ?

Étant l’un des plus importants musées d’art québécois, le MNBAQ dispose d’une influence considérable dans les marchés. Il peut contribuer à la valorisation d’une œuvre s’il en fait l’acquisition ou accroître la renommée d’artistes en leur offrant une exposition. Sa situation géographique (Plaines d’Abraham) et sa programmation diversifiée d’activités l’inscrivent en outre tel un acteur dans les industries du loisir et les circuits touristiques.

Empruntant les modes de fonctionnement et les modalités d’interactions qui y sont associés, le musée s’apparente à une « organisation culturelle de marché ».

Dans la foulée des célébrations du centenaire de Jean Paul Riopelle, le MNBAQ inaugurera un nouvel espace entièrement consacré à l’artiste. L’initiative, lancée par un groupe de mécènes, adopte une vision internationale, comprend un concours d’architecture et vise l’introduction de projets d’art numérique ainsi que de « dispositifs innovants » permettant la personnalisation de l’expérience. Remarquons que plusieurs éléments de l’initiative s’inscrivent dans les tendances issues du « tournant communicationnel/commercial » des musées.

On peut alors se demander si l’espace Riopelle sert la mise en valeur et le partage d’un héritage patrimonial signifiant ou s’il agit à titre de pôle touristique stratégique. On peut aussi se questionner sur la compatibilité de ces deux visions au MNBAQ.

Cette communication propose donc de retracer la logique marchande ayant transformé plusieurs établissements muséaux occidentaux depuis le milieu du XX^e siècle afin de mieux comprendre la manière dont un héritage patrimonial peut aujourd’hui être intégré à un grand musée d’art actif dans les marchés. L’analyse ouvre plusieurs questionnements concernant l’instrumentalisation du patrimoine, le tourisme culturel de masse, l’inclusion socioculturelle et la commercialisation.