Bagan, inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2019, est un trésor culturel unique avec plus de trois mille édifices bouddhistes, dont les fresques de plus de 300 temples témoignent de manière picturale de l’art bouddhiste. L’émergence de la « peinture de sable de Bagan » par des artistes locaux, originellement destinée à la reproduction d’images murales dans le but de préserver le patrimoine culturel, est devenue un souvenir de voyage apprécié grâce à l’essor du tourisme. Cette transformation a également généré des possibilités professionnelles pour la communauté locale, certains mineurs et paysans devenant des peintres ou des vendeurs.

Cet article explore les motivations de ce groupe spécifique et analyse leur réception de la labellisation et de la reconnaissance du patrimoine, tout en étudiant les multiples approches d’appropriation des espaces sacrés, avec un accent particulier sur les temples. Basée sur six mois de recherche sur le terrain effectuée à Bagan, au Myanmar, entre 2017 et 2019, cette étude révèle que l’appropriation du patrimoine à Bagan se manifeste à la fois de manière directe et évidente, mais aussi de manière cachée et fluide. Contrairement aux travailleurs employés dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, ainsi qu’aux artisans des ateliers de laque, les onze cas étudiés, y compris les peintres et les vendeurs de peintures, semblent étroitement liés à l’espace sacré. Leur subsistance dépend fortement de l’occupation des temples ou de leur déplacement constant au sein du site.

Notre approche s’inspire de la distinction établie par Michel de Certeau en 1990 entre stratégie et tactique pour analyser les différentes formes de comportements de résistance sociale des citoyens dans leur vie quotidienne. Dans le contexte de Bagan, les acteurs locaux ont utilisé leur droit au travail pour réaménager l’agencement de temples de diverses manières. Ils ont mis en œuvre des stratégies d’occupation, telles que l’héritage des temples et leur rôle de gardiens, l’utilisation des temples comme lieux de création artistique, ainsi que la démonstration du processus de création des peintures aux touristes, une pratique couramment appelée « performance ». Parallèlement, les vendeurs informels à l’extérieur des temples ont employé des tactiques subtiles, comme le partage d’espaces privés, l’exploitation d’espaces marginaux pour une utilisation optimale, ainsi que le déplacement fréquent dans le site, favorisant ainsi les rencontres fortuites et les échanges informels, qui échappent souvent à la détection des autorités.

Les résultats de notre étude mettent en lumière les diverses formes d’appropriation du patrimoine de Bagan grâce aux pratiques touristiques individuelles. Bien qu’il ait été suggéré que le déplacement forcé de 1990 a conduit à la disparition de la vie quotidienne au sein du site, créant une existence statique dans ce parc archéologique, un tel jugement semble prématurément définitif. Sur le terrain, on observe que le groupe des peintres de sable et des vendeurs s’efforce de construire un environnement basé sur des pratiques spatiales personnelles. Ils peuvent être considérés comme des acteurs pionniers dans la territorialité, où la souveraineté sur la transformation de l’espace patrimonial en espace touristique revient progressivement entre les mains de la communauté locale, dans le contexte de l’appropriation sociale du territoire.