Repenser les relations entre tourisme, patrimoine culturel et territoires par une approche géohistorique des mobilités touristiques : l’exemple des circulations des voyageurs français et britanniques au Proche-Orient depuis la fin du XIXe siècle
Mon statut pour la session
Nous proposons de repenser la relation entre fait touristique, fabrique du patrimoine culturel et territorialisation, en nous intéressant à la construction territoriale et patrimoniale du Proche-Orient par le tourisme européen depuis la fin du XIXe siècle.
Notre intervention vise à montrer, par une démarche géohistorique, comment la mise en œuvre de circuits et d’itinéraires touristiques par deux grandes puissances européennes entretenant un lien étroit et ancien avec cette région de la Méditerranée orientale a participé à construire un regard particulier et à élaborer un territoire transnational dans un espace géopolitiquement instable et traversé de multiples frontières. Ce territoire touristique repose sur des points d’ancrage, les sites patrimoniaux, qui lui confèrent une matérialité et cristallisent des imaginaires fortement imprégnés d’une dimension politique et religieuse.
En privilégiant une approche sur le temps long, sur un vaste espace (comprenant les pays actuels de Syrie, Israël, Jordanie, du Liban et des Territoires palestiniens), et en nous appuyant sur des cartes – réalisées grâce aux données d’enquête –, il s’agit d’appréhender la circulation touristique non pas comme une simple consommation de lieux et d’expériences, mais comme une modalité fondamentale des processus de patrimonialisation et d’élaboration de construits territoriaux. Pour cela, nous souhaitons d’abord souligner comment les mobilités touristiques françaises et britanniques ont participé à l’élaboration de la catégorie géographique et géopolitique de « Proche-Orient ». Nous souhaitons ensuite mettre en évidence l’interaction étroite et durable entre ces mobilités et la définition du patrimoine culturel de la région, en montrant d’une part comment les voyageurs français et britanniques ont contribué à construire, par leurs regards et leurs pratiques, les sites patrimoniaux du Proche-Orient, et d’autre part comment ces sites orientent les circulations des voyageurs, comme celles mises en place par Thomas Cook dans les années 1870, et façonnent leurs imaginaires.
Nous inscrivons nos réflexions dans la lignée de travaux des « tourism and heritage studies » qui ont pensé le lien entre tourisme et patrimoine dans le contexte de l’avènement de sociétés à « individus mobiles » où l’attachement aux lieux et l’élaboration d’une territorialité ne sont plus systématiquement liés à la sédentarité. Elles s’appuient sur l’analyse d’un large corpus de 300 documents (brochures touristiques, guides imprimés et récits de voyage) publiés et conservés en France et en Angleterre depuis 1870, grâce à l’utilisation de deux bases de données et de trois logiciels de traitement et de visualisation de données.
Cette géohistoire des circulations touristiques françaises et britanniques au Proche-Orient nous permet ainsi de souligner la force et la durabilité de la relation tourisme/patrimoine/territoires dans un espace proche-oriental marqué précocement par le développement touristique et patrimonial, d’en saisir la genèse et les moments charnières, d’en montrer les permanences mais aussi les mutations, en lien avec l’évolution des sociétés émettrices des circulations touristiques (ici la France et le Royaume-Uni) ainsi que celle des sociétés d’accueil (au Proche-Orient).