Dans le paysage du premier bassin industriel français jusqu’en 1918 (Merley, 1990), à côtés des héritages en milieu urbain, l’on récence à la faveur d’arpentages divers (urbex, balades découvertes, inventaire photographique, etc.), d’autres legs qui rappellent que la civilisation industrielle s’est aussi, particulièrement dans la région de Saint-Etienne, implantée en milieu rural (Peyre, 2006). Investis désormais par des pratiques hétérodoxes, mais également par des revendications qui le sont tout autant, ces héritages questionnent autant l’expérience humaine qu’ils permettent aujourd’hui, le devenir des territoires qu’ils abritent et ont façonnés, que les enjeux et questionnements autour du « fait patrimonial ». Ceux de « l’Alliance », un village usine dédié depuis 1838 à la fabrication des faux et faucilles, à l’origine de la création de la commune de Pont Salomon, permet une étude de cas exemplaire. Sur ce territoire s’est développée une utopie industrielle et sociale mettant en œuvre les préceptes fouriéristes. Considéré comme ayant « un potentiel patrimonial tout aussi remarquable que la colonie textile Sedo près de Barcelone ou New-Lanark » (Rojas, 2018), le site de l’Alliance, partiellement encore en activité, suscite de vifs intérêts et conflits autour de sa transformation, de l’usage qui peut être fait des différents bâtiments ou encore de sa valorisation à des fins culturelles. Sur cet espace contraint de vallée, cohabitent différents bâtiments liés à l’activité industrielle qui se retrouvent de facto potentiellement étiquetés patrimoines alors que, bien souvent, d’autres usages s’y déploient et que ce même bâti a été fortement transformé pour pouvoir les accueillir. Dès lors, s’engagent avec les populations locales, les experts du patrimoine, les acteurs institutionnels, etc. de conflictuels processus de narrations patrimoniales et de projet de territoire où l’enjeu réside dans la capacité à faire communauté autour de ces héritages devenant, en quelque sorte, des biens communs (Lascoume & Le Bourhis, 1998). Dans ce contexte, une recherche-action que nous menons actuellement dans le cadre d’un collectif local, vise à dresser un état des lieux des visions communes sur le devenir de ce territoire et sur la place que peut y tenir cet héritage. Il s’agit, par la saisie des imaginaires qui lui sont associés, des territoires et paysages qu’ils dessinent, des croyances et valeurs qu’ils révèlent ainsi que par l’identification des articulations de ces imaginaires aux expériences vécues, de faire émerger points de vue, perceptions et visions du territoire. Notre proposition de communication ambitionne, à partir des premiers enseignements de cette démarche située, de venir discuter des manières dont l’héritage industriel peut, au-delà d’une simple conservation et valorisation établies, participer au développement d’un territoire, répondre aux attentes, défis, enjeux liés au développement durable ainsi qu’aux aspirations participatives exprimées de la population. Comment se rencontrent idéologie, raison, affect et émotion dans les processus cognitifs et relationnels que sont les narrations patrimoniales à Pont Salomon ? Dans ce « paysage d’activités » (Ingold, 2007), quels échanges matériels, symboliques, affectifs, se déploient ? De quelles manières émerge une communauté de valeurs (Morisset, 2018) fondée sur la pratique, l’usage partagé de l’héritage industriel (matériel et immatériel) considéré ainsi comme commun ? Telles sont quelques-unes des explorations que cette communication souhaiterait soumettre au débat lors du congrès « le patrimoine industriel rechargé : nouveaux territoires, cultures changeantes ».