09.30 Reconsidérer les ruines modernes par la photographie
Mon statut pour la session
À l’heure où l’évolution urbaine est envisagée, non plus par l’étalement en périphérie, mais par la reconstruction au sein même de la ville existante, les ruines semblent constituer l’enjeu des aménagements. La disparition des objets industriels a entraîné une multiplication de dents creuses et de chantiers au sein des centres-villes et des anciennes zones industrielles – qu’il faut aujourd’hui réurbaniser. Tout comme les bâtiments industriels, les architectures des grands ensembles sont les derniers symboles de l’ère moderne menacés par la destruction. Les tours et les barres de logements collectifs des années 1950 à 1970 issues des théories fonctionnalistes du mouvement moderne sont souvent jugées obsolètes par certains aménageurs qui voient en elles de futures zones disponibles pour une réurbanisation.
En France, ces architectures demeurent emblématiques parce qu’elles incarnent la première vague d’urbanisation massive planifiée. Les signes d’usure et les marqueurs du temps qui sont apparus très vite sur ces objets font état d’un abandon prématuré – peintures ternies par l’exposition au soleil, effritement du béton, dégradation des espaces verts, tags, apparition d’herbes folles… Malgré tout, ces architectures en proie à la « ruinification » intriguent et fascinent par leur fragilité et leur monumentalité.
Parallèlement à ces mutations urbaines, les représentations des ruines dans les arts, le divertissement et les médias sont omniprésentes. Si l’on peut, aujourd’hui, aisément contempler la ruine à travers ses représentations, faire l’expérience des ruines modernes demeure, pour le plus grand nombre, un exercice banal et quotidien, qui ne relève pas forcément de l’expérience esthétique. Les ruines restent des verrues urbaines qu’il faut guérir. En tant qu’objets urbains dé-fonctionnalisés et symboliques, les ruines modernes, marqueurs d’un territoire en transformation, sont à même de susciter une appréciation esthétique in situ. Cependant c’est par l’image qu’il semblerait possible d’organiser une prise de distance sur ces sites, permettant de les reconsidérer.
Ma recherche photographique propose un regard sur les ruines à la fois documentaire, poétique et critique. La photographie, en sélectionnant et synthétisant plusieurs portions d’espaces, permet d’ausculter en détail et de pointer les particularités d’un lieu, qui ne sont pas toujours saisissables – ou que les usagers ne prennent plus le temps d’observer. L’image se fait le relais visuel des qualités esthétiques et historiques de ces architectures mineures qui ne suscitent pas de prime abord l’admiration. Je ne cherche pas à figer la procédure dans un protocole, au contraire la réflexion se construit par la mise en regard de l’image avec le lieu par le biais de différents procédés : relever les signes de la ruine, donner à voir le processus de « ruinification », contextualiser la ruine dans le temps et dans l’espace, rendre compte de la complexité du lieu ruiné et l’ancrer dans un territoire.
Mon but n’est pas de prouver l’existence d’un phénomène de mode. Il s’agit plutôt de circonscrire la contemplation croissante des ruines modernes qui se développent depuis quelques temps, pour proposer une contribution critique qui cherche à susciter un questionnement sur les ruines comme composantes du paysage urbain actuel. Pour que la réflexion soit intéressante il faut que le questionnement par l’image soit ouvert et permanent, ce qui impose une disponibilité et une flexibilité. Augustin Berque parle de « trajection » pour définir le « processus réalisant la liaison objet/sujet » ; selon cette analyse, l’échange qui s’opère entre la représentation et le site est essentiel. La photographie n’est pas appréhendée comme une finalité mais comme un moyen par lequel une appréciation du territoire et des ruines modernes peut être possible. Dans une juste proportion, il s’agit d’organiser, à travers la photographie, un retour sur la ville, le paysage et l’aménagement.