14.00 Qu’est-ce qui est « autre » dans ce qui fait patrimoine pour les habitants des périphéries métropolitaines ?
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Notre contribution a pour objet d’examiner les catégories du patrimoine telles qu’elles sont énoncées par les métropolitains résidant en périphéries et d’étudier dans quelle mesure elles s’éloignent, ou non, des catégories institutionnelles plus largement reconnues. L’enjeu est-il alors d’affirmer une identité renouvelée dans un contexte urbain ou est-il de s’identifier le plus possible au modèles dominants de patrimonialisation, aux patrimoines reconnus comme légitimes ? Ainsi, cette communication vise à participer aux débats sur les conditions d’émergence d’un patrimoine perçu par certains acteurs comme « alternatif », comme en témoignent les catégories de langage fréquemment utilisées pour le définir ou le qualifier (« ordinaire », « quotidien », « banal », de « banlieue »…). Nous souhaitons questionner la notion de « patrimoine alternatif » en revenant sur le sens positif largement associé à tout phénomène « alternatif » aujourd’hui. En quoi le patrimoine défini par les habitants est-il « autre » ou représente-t-il un « contre-modèle » ? Est-ce à dire que les modes d’appropriation et de définition des territoires urbains périphériques sont différents ? Des modèles « alternatifs » de patrimonialisation témoignent-ils d’un mode d’habiter différent – subi ou revendiqué ? En quoi constituent-ils des modalités nouvelles de catégorisation de la ville et de l’urbain à de nouvelles échelles, liées à la métropolisation ? Les analyses que nous proposons de mettre en débat s’appuient sur un travail de recherche mené entre 2014 et 2016, financé par le ministère de la Culture, dont l’objet est plus particulièrement de s’interroger sur « ce qui fait patrimoine pour les habitants », dans trois communes de l’agglomération de Cergy-Pontoise.
Nos questionnements s’inscrivent dans l’évolution des processus de patrimonialisation marquée notamment par plusieurs textes internationaux invitant, d’une part, à ouvrir la notion de patrimoine et, d’autre part, à prendre davantage en compte la parole des habitants. Ainsi, la Convention de l’UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, la Recommandation de l’UNESCO de 2011 sur le paysage urbain historique, tout comme les deux Conventions du Conseil de l’Europe (Convention européenne du paysage et Convention de Faro), incitent les partenaires et les professionnel du patrimoine et de l’aménagement urbain à porter une attention accrue au patrimoine « vécu » et « perçu » par les habitants. La Convention de Faro « encourage une réflexion sur le rôle des citoyens dans les processus de définition, de décision et de gestion de l’environnement culturel dans lequel fonctionnent et évoluent les communautés ». Ainsi, nos analyses, qui portent sur les conditions d’émergence d’une « autre » patrimonialisation, alimentent les réflexions sur les formes nouvelles de démocratie participative et d’urbanisme participatif que l’on cherche aujourd’hui à promouvoir dans les villes, l’objectif pouvant être au final de faire du patrimoine local un « commun ».
Basée sur des enquêtes qualitatives menées auprès d’une soixantaine de personnes, l’organisation de ballades urbaines et d’ateliers d’échanges et débats, notre recherche vise donc à mettre en lumière les éléments qui sont porteurs de sens et d’identité pour les populations locales. Au-delà de la valeur esthétique et/ou historique des lieux et des paysages urbains, c’est l’attachement des habitants à leur cadre de vie, quel qu’il soit, que nous cherchons à étudier. Dans les communes de banlieue qui font souvent l’objet d’une certaine stigmatisation, il est intéressant d’identifier les éléments auxquels les habitants sont attachés, qui font sens pour eux, et qui appartiennent souvent au registre du sensible et du symbolique.
Au-delà, il s’agit de questionner la manière dont la « parole habitante » peut être reconnue, acceptée et prise en compte, et comment elle peut influer non seulement sur les processus de patrimonialisation mais aussi plus largement sur les politiques d’aménagement et de gestion des territoires urbains.