Le « droit à la mémoire » dans la ville
Mon statut pour la session
On peut légitimement se poser la question de l’identité des acteurs et des mouvements sociaux qui peuvent porter le « droit à la ville » aujourd’hui.
Dans cet exposé, je considérerai le « droit à la ville » au sens d’Henri Lefebvre, c’est-à-dire comme un droit à une centralité urbaine renouvelée, à une vie quotidienne libérée, à une « ré-appropriation » par les citadins de leurs espaces et de leurs conditions d’existence, mais aussi bien sûr comme une droit à la participation aux décisions en matière d’urbanisme.
Considérant l’espace urbain d’une part comme le support et l’objet de stratégies politiques différenciées, et d’autre part comme un produit politique, je pourrai affirmer que les groupes sociaux dominés, autant que les dominants, participent à sa production à travers le conflit.
Je m’attarderai plus spécifiquement sur le processus de patrimonialisation en explorant la manière dont les groupes s’engagent dans des conflits basés sur des représentations des lieux, de leurs histoires et des mémoires différenciées, et ainsi contribuent à la production des territoires urbains contemporains.
Il existe en effet des tensions et des contradictions entre les mémoires officielles – légitimées – et les mémoires dominées – ou en quête de légitimation – dans les mises en concurrence que sous-tend le processus de patrimonialisation. Les conflits qui en découlent peuvent être territoriaux, de légitimités, de valeurs et de mémoires.
Considérant les mémoires collectives des groupes formées socialement et dans le conflit, en relation avec le « droit à la ville » lefebvrien, inséparable du « droit à la différence » comme outil d’émancipation, je propose d’appréhender des exemples de revendications patrimoniales en Europe pour discuter la possibilité d’un « droit à la mémoire dans la ville ». Je propose d’explorer ainsi la manière dont la présence de mémoires dominantes et de mémoires dominées aboutissent à de nouvelles formes de revendications et de contestations relevant – au-delà de simples enjeux de mémoire – d’enjeux identitaires, d’enjeux socio-spatiaux ou d’émancipation.
Ce droit à la mémoire ne recouvrerait bien sûr pas le « droit à la ville » au sens de Lefebvre, qui nécessite des changements économiques, politiques et culturels radicaux, basés sur l’autogestion généralisée et une société non-capitaliste, mais pourrait y contribuer, dans le sens d’une « ré-appropriation », par les groupes sociaux, de leurs espaces, de leurs identités et de leurs aspirations. Je discuterai pour cela les revendications mémorielles que des groupes sociaux formulent dans l’espace public des métropoles européennes, comme vecteurs possibles d’émancipation, et de ce droit à la ville, c’est-à-dire comme vecteur possible de la transformation sociale.
Les cas de figure analysés, très différents (communauté d’usage d’un skatepark (planchodrome) dans le centre de Londres, occupation d’une place dans le centre de Bucarest, travail de mémoire dans les grands ensembles français), porteront ainsi sur des groupes sociaux minorisés ou invisibilisés, pris dans des processus de revendication et de recherche de reconnaissance (civique, citoyenne, culturelle), qui se donnent à voir dans l’espace en réclamant des droits et en se servant de la mémoire, notamment de la mémoire des lieux. Ils peuvent, à l’inverse, se trouver instrumentalisés dans un processus de marche vers la reconnaissance forcée et exogène.