13.30 Trajectoires de la patrimonialisation et de la production territoriale en montagne : quels changements et quels enjeux ?
Mon statut pour la session
Les études relatives aux processus de patrimonialisation ont fait le constat d’une mutation contemporaine majeure, caractérisée par un double mouvement d’extension de la notion de patrimoine, désignant à la fois un élargissement spatial des objets considérés (du monument au site, puis à un espace d’étendue de plus en plus vaste) et une extension de la référence temporelle portée par ces objets (en amont, au plus loin, jusqu’aux échelles des temps géologiques ; en aval, au plus près de notre contemporain). Ces mutations de la patrimonialisation peuvent être analysées, désormais classiquement, comme le symptôme d’une nouvelle construction sociale du temps, mais aussi, indissociablement, comme celui d’une nouvelle construction sociale de l’espace, qui serait inhérente à la mondialisation néo-libérale telle qu’elle se (re)configure depuis les années 1980-1990. Les espaces ruraux, dont certains ne sont pas ou peu métropolisés, ne sont pas à l’écart de la mondialisation, de ses évolutions et de ses effets.
À partir d’un programme interdisciplinaire portant sur les modalités de singularisation des espaces de montagne, nous présenterons les premiers éléments d’une recherche en cours visant à comprendre, d’une part, comment la quête de labellisation territoriale, sur une base patrimoniale incluant des objets relevant à la fois des catégories du « naturel » et du « culturel », s’inscrit dans cette nouvelle construction sociale du temps et de l’espace et, d’autre part, de quels enjeux spécifiques , dans la mondialisation en cours, cette patrimonialisation accélérée des espaces de montagne faiblement urbanisée est porteuse.
Nous dresserons ainsi les bases d’une comparaison entre les trajectoires d’espaces ruraux affectés depuis une durée plus ou moins longue (de 60 ans à une dizaine d’années) par des modalités de patrimonialisation ayant conduit à, ou projetant, de nouvelles constructions territoriales (parcs nationaux, parcs naturels régionaux, Geoparks…). Cette patrimonialisation s’établit chaque fois selon un processus marqué par une extension spatiale et temporelle des objets (du site archéologique au « grand » paysage ; du paysage rural traditionnel aux géomorphosites) et par un changement d’échelle dans la construction sociale de l’espace patrimonialisé, du fait notamment de l’inclusion des nouveaux « objets » dans une mise en série ou en réseau établie aux échelles nationale (opérations Grands Sites), internationale (listes du patrimoine mondial) ou régionale (« alpages sentinelles», sites palafittiques des régions alpines).
Dans une approche associant des lectures historiques, géographiques et socio-anthropologiques, nous nous attacherons en particulier à qualifier dans ces trajectoires les principaux opérateurs de changement (catégories d’acteurs et nature des savoirs mobilisés dans les opérations de désignation, sélection des objets), les fonctions attribuées à la patrimonialisation (identitaires ou idéelles, matérielle ou spatiale) et les communautés de référence visées (locales, nationales ou touristiques-mondiales ). Les matériaux d’analyse seront fournis par l’examen des mises en récit institutionnelles au cours des processus de patrimonialisation-labellisation (par ex : récits paysagers), mais aussi par la collecte auprès d’acteurs, d’habitants et d’usagers des discours énonçant les liens individualisés à l’espace patrimonialisé. Enfin la question du rôle des chercheurs dans ces processus fait l’objet d’une attention particulière, dans une tentative de penser de manière critique et réflexive les articulations entre la recherche et l’action. Aussi tenterons-nous d’esquisser une représentation dynamique et concrète de ce que le patrimoine fait aux territoires de montagne.