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12.05  Énonciation patrimoniale et discriminations sociales et spatiales. Cet Autre qui abîme le patrimoine.

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11:00, Samedi 4 Juin 2016 (30 minutes)

« Ça abime le patrimoine ». Dans les discours de citadins anonymes confrontés à l’aménagement conflictuel du quartier de la Libération à Nice apparaissent, souvent après l’entretien, un « ils », un « ça » désignant un Autre annoncé comme nuisible au « patrimoine ». Deux groupes sont identifiables : le groupe « ethnoculturel », en référence à une population considérée comme étrangère, immigrée, à l’origine de la disparition du « quartier d’avant » ; le groupe « margino-précaire » en référence aux individus aux comportements considérés comme non conformes aux normes admises dans le système de valeurs de la société, à qui est imputée la dégradation de la Gare du Sud, bâtiment au centre des projets d’aménagement. 

Dans les discours, l’évaluation négative des exogroupes est concomitante de l’attribution d’une valeur patrimoniale aux lieux qu’ils occuperaient. Les propos oscillent entre jugements des comportements à l’égard de ces lieux – illégitimes pour le premier groupe, illégaux pour le second – et stéréotypes associés à des populations auxquelles sont affectées des valeurs différentes dans un contexte problématique de partage d’espace. Nous verrons que l’énonciation patrimoniale a pour premier effet la spatialisation de l’altérité et l’édification d’une frontière immatérielle discriminante. De quel « patrimoine » s’agit-il ? Quel est le mécanisme à l’œuvre dans cette énonciation patrimoniale ? Les discours pointent une double entrée au problème posé : d’une part, la croyance de la détérioration d’un bien commun – le dit « patrimoine » – qui impliquerait et justifierait le rejet de ces personnes et, d’autre part, une discrimination vis-à-vis du prétendu bien commun, fondée sur des stéréotypes – à concevoir comme des croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles d’un groupe de personnes – qui mettrait à distance de fait. 

Nous montrerons que si, dans ces pratiques discursives, le recours au patrimoine s’envisage comme un outil d’évaluation des comportements conduisant à une discrimination, il est également une production établie par stratégie identitaire de valorisation de sa catégorie d’appartenance. Nous verrons que fabriquer du patrimoine dans et pour le discours, c’est instrumentaliser la représentation socioculturelle d’un référent identitaire fort dans le but de justifier, de renfoncer et de communiquer un positionnement idéologique vis-à-vis de certaines populations. Le patrimoine n’apparaît plus seulement facteur de lien social. Prononcer ce terme peut relever d’une stratégie rhétorique comme comportement discriminatoire. S’y référer, c’est affirmer une culture du patrimoine que l’Autre ne possèderait pas au vu de ses comportements jugés irrespectueux, inappropriés. Cela l’exclurait du groupe qui partage cette culture tout en le privant du bien commun, de l’accès à la propriété symbolique des lieux. 

S’intéresser à l’énonciation patrimoniale, c’est sonder la façon dont la notion s’emploie et performe dans le quotidien. Elle participe d’un processus de production d’un « ego-patrimoine » qui joue un rôle dans les pratiques quotidiennes d’une ville palimpseste. L’aborder permet de mieux comprendre l’évolution de la notion et sa définition contemporaine. Aborder spécifiquement l’énonciation patrimoniale discriminante, c’est confirmer la force performative du patrimoine en ce qu’elle dit et met en place sa fonction sociale distinctive. Prononcer ce terme, c’est instrumentaliser la signification de la notion, c’est-à-dire la croyance de ce qu’elle est, aux fins de sa propre élaboration. 

Cette communication s’inscrit dans une recherche sur la fabrique ordinaire du patrimoine conduite sur un terrain de conflit patrimonial. Dépassant les mobilisations et s’attachant aux énonciations patrimoniales, ce travail a montré qu’il existe une conception patrimoniale partagée par les individus qui s’exprime à travers une compétence à caractériser des éléments de l’espace urbain, une expertise non institutionnelle acquise à partir de sa propre expérience du monde et du patrimoine. Désormais, le patrimoine de l’homme ordinaire se caractérise par la conscience de la signification qu’il a appris à lui donner.

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