12.00 « Rome ville ouverte », Pasolini et les « FALZ ». Objets/sujets résistants à Pigneto
Mon statut pour la session
L’imbrication de l’économie informelle, voire illégale, dans l’histoire sociale a considérablement caractérisé la littérature sur la migration internationale en Italie, plus spécifiquement à Rome. Ainsi des trajectoires de migration hétérogènes dessinent des espaces d’absence et d’émergence où l’absence est envisagée en tant qu’état social ou politique sous-représenté d’où affleurent des dynamiques « émergentes » de création et de changement social aux temporalités in fieri.
Dans cette communication, je fais état d’une réalité sociale relativement émergente comme celle des migrants subsahariens dans le quartier Pigneto, à Rome, progressivement intégrés dans des pratiques et valeurs de résistance hétérogènes propres à ce quartier à la stratification sociale marquée.
À l’instar d’autres quartiers « rouges » du triangle de la Résistance romaine pendant l’occupation nazie (Tuscolano-Casilino-Prenestino), Pigneto est, aujourd’hui, une fabrique sociale qui suinte un héritage de pratiques de contraste aux pouvoirs en place où s’entremêlent la mémoire des navettes à vélo antinazies, le commerce illégal à basse fréquence et le soutien juridique aux migrants.
Je commence par proposer une lecture ethnographique de sujets et d’objets « illégaux » et liminaux qui se relient à la stratigraphie des résistances de cet ancien quartier ouvrier, aujourd’hui en plein processus de gentrification, autour des réseaux de la marchandise de contrefaçon, appelée par les acteurs en place « FALZ » dérivé de l’italien falso (faux), des migrants ouest-africains. Normatisés par l’État en tant que corps « illégaux », ceux-ci sont perçus dans une continuité sémiotique entre l’illégalité de leur condition de « clandestins » et celle de leur marchandise. En même temps, ces corps « illégaux » sont affichés en porte-drapeau de la galaxie de gauche (soutien juridique aux migrants, lutte contre le travail au noir, politiques d’intégration sociale) et ainsi définis dans un renvoi constant entre occultation et ostentation. Dans ce cadre, d’une part j’analyserai les réseaux de ravitaillement et d’écoulement des produits de contrefaçon suivant la mobilité spatiale des acteurs sociaux et de leur marchandise ; d’autre part je m’attacherai à décrire les omissions cachées entre les lignes des récits de vie des migrants dans le cadre des demandes de cartes de séjour afin de montrer comment ces deux facettes de la présence migrante soient régies par ces mêmes principes de visibilité et d’invisibilité qui ont caractérisé les stratégies de résistance du quartier.
Je propose ensuite une théorisation de l’évidence ethnographique en envisageant la rue (la strada) en tant qu’estrade d’un théâtre où s’est développé, à travers le temps, un habitus d’évitement/occultation (opacité) et d’ostentation/dévoilement (transparence), enjeu majeur du panel « Maverick Heritages », qui sous-tend la production de la résistance. Ces états et acteurs liminaires propres aux réels en transformation creusent ainsi des domaines de valeur qui ne pourraient plus se définir à partir d’un centre précis mais, plutôt, d’un chaos (ré)générateur dans lequel les bombardements du juillet 1943, les baraques des paysages pasoliniens et les « faux » sacs Vuitton ne sont que les fragments d’une mémoire de quartier résistante perpétuellement recomposée dans la cohabitation entre vivants et trépassés.