13.30 La défense du patrimoine va-t-elle à « rebrousse-temps » ?
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Les musées et tout particulièrement les musées d’histoire, d’ethnologie ou d’art populaire, regroupés sous la mention « musées de société », n’ont-ils pas tendance à présenter un passé idéalisé ? La seule sélection des œuvres, la suppression des odeurs, du désordre, de la violence ou des distances dans le temps suspendu et aseptisé propre à l’institution muséale ne conduit-elle pas à rendre la passé plus beau que nature ? Voici quelques-unes des pistes suggérées autour de cette question.
Le fait d’être désemparé face à l’accélération des changements dans notre cadre de vie conduit-il à l’adoption de positions rétrogrades ? De l’inquiétude devant les dangers du progrès à une position ouvertement réactionnaire il n’y a qu’une différence de degré qui se traduit par des attitudes divergentes vis-à-vis du patrimoine. Dans une situation où le présent n’offre, non seulement, plus aucune raison d’espérer, mais encore, efface tout repère, ainsi que l’illustra en son temps « Les Immatériaux », la tentation est grande, à travers les objets du passé, de présenter un autrefois non daté, situé par conséquent dans l’espace mythique de la tradition plutôt que dans celui des repères chronologiques et géographiques de l’histoire, où chacun peut trouver une place, où des objets plus beaux témoignent d’identités plus claires et plus affirmées que celles du « bon vieux temps ». Entre le feu Musée des arts et traditions populaires et ses costumes traditionnels flottant dans des vitrines immuables pour évoquer une France hors du temps, et certaines vitrines du Musée du Quai Branly, toutes aussi figées, qui présentent les artéfacts intemporels des peuples du monde, s’établit une grande continuité, celle du mythe face à l’histoire. L’exemple d’un cartel d’une vitrine de l’ancien Musée national des arts et traditions populaires (MNATP) portant la mention : « De tout temps, l’Homme a pratiqué la pêche, technique d’acquisition… », est, par cet emploi des mots « De tout temps », une affirmation plus que vraisemblablement erronée. En effet, affirmer qu’une chose existe « de tout temps » revient à dire « il était une fois », à ouvrir la porte à des récits situés hors du temps et de l’espace qui sont la matière même des contes et des mythes. Le MNATP développait donc, dans ses galeries, le conte d’une société française produisant de beaux objets dans de jolis costumes quand les femmes étaient à leur place et qu’il n’y avait pas d’étrangers. Recréer un autrefois où tout peut sembler pour le mieux, c’est certes prendre en compte le passé, mais d’une façon bien différente de celle à laquelle songeaient les révolutionnaires de 1993 quand ils ont créé l’institution muséale. Plus grave, en contant l’histoire de jolies sociétés situées dans un hier hors du temps ne risque-t-on pas, à nouveau, de faire le lit des utopies les plus totalitaires et les plus réactionnaires, qui refusent la modernité au nom d’un passé pur aujourd’hui souillé ?