10.10 Altération et renouvellement du processus de patrimonialisation par l’introduction d’œuvres contemporaines dans les lieux patrimoniaux : deux cas d’étude bretons
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Les rapports plus ou moins dissonants entre une œuvre contemporaine et un lieu/objet patrimonialisé provoquent des altérations dans la désignation, la signification, l’appropriation et la valorisation de ces biens culturels. Précieuse à analyser, cette relation ouvre de nouvelles perspectives d’analyses sur les processus de patrimonialisation puisqu’elle nous invite à les envisager sous un angle réflexif, à travers le jeu de miroir création/patrimoine.
Ainsi, comment comprendre ce dialogue et comment saisir sociologiquement ce qui s’opère dans l’altération, la transfiguration, voire le travestissement de ces lieux par l’art contemporain ? Voici le questionnement de fond qui inspire notre travail de thèse « Lieux patrimoniaux et création artistique contemporaine : analyse socio-anthropologique des processus de patrimonialisation. L’exemple de la Bretagne », dans lequel nous sommes engagée depuis septembre 2013.
L’art contemporain produit sur le patrimoine une abstraction de son contexte sociologique, non seulement par arrachement de l’œuvre à sa fonction d’origine ou officielle, mais aussi en créant un cadre destiné à lui conférer de nouvelles caractéristiques sociales et morales significatives, qu’il s’agira d’identifier et de comprendre. Ainsi, nous formulerons l’hypothèse suivante : l’art contemporain agit comme un révélateur sur le patrimoine et, à ce titre, renouvelle le processus de patrimonialisation, autant à travers les réceptions que les transmissions et (ré)appropriations de ces lieux.
Nous proposons d’étayer notre intervention sur deux monographies élaborées dans le cadre de notre thèse, qui étudient deux manifestations où dialoguent patrimoine historique et œuvre contemporaine « in situ » : l’art dans les chapelles (56), L’Art à la pointe (29).
Controversés par certains, et adulés par d'autres, ces événements réveillent sur les sites des résistances plus ou moins sourdes, qu’il s’agira de démêler à la lumière de références scientifiques. Ainsi, par le biais de ces exemples, nous explorerons les « mises en crise » qu’introduisent ces cohabitations sur différents axes :
• Un premier axe s’attachera à explorer les nouvelles formes d’appropriation de ces patrimoines par l’opération artistique, dans ses manifestations concrètent. Nous userons du couple conceptuel « trace/marque » que Vincent Veschambre (2008) propose de mettre en dialectique, pour expliciter le processus de marquage artistique qui s’élabore autour de ces lieux. Quelle place l’artiste laisse-t-il aux traces passées du site ? Quel appareillage physique et technique introduit-il dans les sites ? Comment investit-il les lieux et sous quelle forme appose-t-il sa marque ? S’impose-t-il des limites dans son entreprise de marquage artistique ? Autant d’interrogations qui renvoient à la question de la sacralité de la trace (est-ce qu’on peut y toucher ?) et de sa propriété (peut-on la faire sienne ?).
• Un deuxième axe s’intéressera aux détournements de fonctions et de valeurs qu’induit l’œuvre contemporaine sur le site patrimonial, l’introduisant dans un nouveau cadre normatif susceptible d’être discordant avec l’ancien. Nous nous appuierons sur les travaux de Nathalie Heinich, notamment sur sa conceptualisation du « registre de valeurs » de l’objet patrimonial réuni autour du triptyque « authenticité/présence/beauté » susceptible d’entrer en crise lors de sa rencontre avec le registre de valeur de l’œuvre contemporaine. Ainsi, nous rendrons compte d’exemples témoignant d’un jeu certain de l’artiste dans la mise en dissonance de ces registres de valeurs et des conséquences sur la réception du site par les visiteurs.
• Le troisième axe s’intéressera au renouvellement de la relation cognitive et des parcours sémantiques des sites étudiés, par l’introduction de l’art contemporain. L’artiste, en injectant une logique autre qu’historique, détourne les mises en sens officielles du site et propose de nouvelles significations à l’œuvre patrimoniale, faisant appel plus à l’émotion qu’à la rationalité. La dérision de l’art contemporain, son goût pour le second degré, ses « mises en énigme » quant à ses références et filiations, contribuent à reconfigurer les connaissances savantes et à renouveler les savoirs de ces sites.