09.00 Démarches institutionnelles et initiatives citoyennes dans le contexte des demandes d’inscription au patrimoine de l’humanité : Le cas de l’oasis de Figuig au Maroc
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Dans le cadre de cette communication, il s’agira d’analyser la manière dont s’articulent, ou au contraire, ne se rencontrent pas, les initiatives locales et nationales, institutionnelles et citoyennes, dans la démarche de demande d’inscription de biens sur la liste du patrimoine mondial, et les implications que les jeux d’acteurs peuvent avoir sur les conceptions mêmes du patrimoine. Notre étude portera sur l’oasis de Figuig, située dans la pointe orientale du Maroc. L’oasis constitue un ensemble patrimonial matériel et culturel, où existe une complémentarité entre l’architecture domestique et l’organisation spatiale des ksour, la palmeraie, son système d’irrigation et les pratiques sociales et culturelles qui leur sont associées. L’oasis forme également un patrimoine naturel et environnemental caractérisé par un écosystème particulier. Toutefois, si Figuig comptait au début du XXème siècle parmi les dix premières villes du Maroc, elle est aujourd’hui enclavée, en raison de sa position particulière par rapport à l’Algérie, qui l’entoure à l’est, au sud et au nord. La fermeture de la frontière entre le Maroc et l’Algérie en 1994 a renforcé le déclin de l’oasis, et l’exode démographique important a quant à lui provoqué des mutations socio-spatiales à l’origine d’une dégradation des patrimoines de l’oasis rendant ainsi de plus en plus urgente la prise de mesures de sauvegarde. Afin d’offrir un cadre renforcé de protection, la municipalité, la région de l’Oriental, le ministère de la Culture et l’État marocains ont engagé une démarche de demande d’inscription de Figuig, en tant que paysage culturel, sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Participant à cette démarche, une équipe pluridisciplinaire de chercheurs français, dirigée par Laurence Gillot et André Del mène des actions d’inventaire, de recherche et de valorisation des patrimoines de l’oasis de Figuig depuis 2006. À côté des autorités municipales, régionales et nationales, un maillage étroit de groupes et associations locales (djemaa, associations d'irrigants, de jardiniers, de propriétaires ....), épaulé par une importante diaspora tente également d’assurer la sauvegarde des patrimoines de l’oasis. Dans ce contexte que l’on pourrait qualifier de collaboratif, l’oasis fut inscrite sur la liste indicative du Maroc auprès de l’UNESCO en 2011. Malgré des volontés affichées de préserver les patrimoines de l’oasis, tant par les autorités locales, que par la société civile elle-même, Figuig est l’objet de tendances contradictoires, témoignant de pratiques de patrimonialisations distinctes. L’on constate en effet une disjonction entre les démarches de la mairie, vues par la population comme sources de nouvelles contraintes, celles des scientifiques, fondées sur une démarche analytique et distanciée de l’histoire et du patrimoine, et la volonté des populations, présentes à Figuig ou installées en Île-de-France, de connaître et préserver leur patrimoine perçu de manière individuelle comme l’héritage des parents à transmettre aux enfants. Cet état de fait a contribué à dissocier deux conceptions du patrimoine et de sa protection, l’une institutionnelle et savante, l’autre populaire et sociale. Par ailleurs, si le dossier de demande d’inscription au patrimoine de l’humanité est porté par l’État marocain, la démarche a quant à elle été initialement insufflée par la municipalité, soutenue par la diaspora figuiguienne. L’inscription sur la liste indicative acquise, il semblerait que la poursuite du processus intéresse peu l’État, de même que le soutien des acteurs non institutionnels et locaux ne semble pas aller de soi. Outre le fait que ces tensions soulignent l’existence de perceptions différenciées du patrimoine, elles inscrivent le processus de patrimonialisation dans des problématiques socio-politiques plus larges (clivage centre – périphérie, société civile-institutions politiques, etc.) En définitive, il s’agira, à partir de notre expérience en tant qu’experts sollicités dans le cadre de ce dossier, d’analyser les jeux d’acteurs et de présenter de manière critique la dynamique collaborative que nous essayons de mettre en place en vue de faire interagir les institutions, les scientifiques et les acteurs de la société civile dans la construction d’un savoir partagé et la production des informations nécessaires à l’instruction du dossier d’inscription de l’oasis, comme paysage culturel, sur la liste du patrimoine de l’humanité.