11.40 L’exemplarité documentaire de la diversité culturelle canadienne : modalités et enjeux de la patrimonialisation sur ONF.ca
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Si de tout temps, la mission de l’Office nationale du film du Canada (ONF) a été de conférer au Canada une identité propre par la production et la diffusion de ses films, une des nouvelles priorités de l’institution, clairement affirmée dans son plus récent Plan stratégique de 2008–2013 est de répondre au défi d’un immense héritage audiovisuel, « d’un bien patrimonial d’une valeur inestimable pour la population canadienne et mondiale. ». En se donnant comme mission de rendre accessible son patrimoine audiovisuel, l’office se soucie d’en orienter la réception, de proposer aux internautes ses points de vue sur l’histoire de son action audiovisuelle depuis sa fondation en 1939. Par le relevé d’un certain nombre de valeurs exhibées (authenticité, représentativité, renommée et proximité), et de registres privilégiés (dont celui de la commémoration), on tentera de circonscrire une axiologie du patrimoine sur ONF.ca.
De manière plus précise, il s’agira de dégager les éléments suivants : a) les modalités de la patrimonialisation, c’est-à-dire les opérations de mise en valeur du film documentaire dans leur versant discursif et interprétatif par une communauté interprétante : l’état-nation et ses représentants autorisés; b) l’exemplarité documentaire, c’est-à-dire la façon dont les films sont pris en charge par un dispositif discursif et interprétatif destiné à leur conférer une « opérativité symbolique », à en faire des supports de valeurs exemplaires, à la fois mémoriels et identitaires; c) les enjeux de la patrimonialisation, c’est-à-dire la façon dont les opérations de mise en valeur donnent sens et finalité aux objets patrimoniaux et à la démarche patrimoniale.
Plusieurs questions seront proposées à l’examen : si les discours parafilmiques construisent une exemplarité, jusqu’où celle-ci rejoint-elle ou s’éloigne-t-elle des films eux-mêmes? ; l’objet de patrimoine (le film) tend-il à avoir un sens figé par le discours patrimonial qu’on porte sur lui ?; jusqu’à quel point l’encadrement discursif des collections agit-il comme un ordre imposé à l’archive, un « ordre du discours » médiatique s’élaborant autour et à partir des films ? La question de l’articulation (et de l’écart) entre mémoire patrimoniale et mémoires particulières (des films) sera au centre de notre questionnement afin de mieux cerner les contours politiques et les enjeux idéologiques de l’encadrement discursif des collections. En assignant au film toutes sortes de signes le plus souvent positifs, et ce, à travers un multiculturalisme bien tempéré, la mise en valeur produit-elle une relecture « politiquement correcte » de son fonds ? « Culturellement diversifié, favorisant la cohésion sociale », peut-on lire un peu partout sur les sites institutionnel et grand public au chapitre des « valeurs fondamentales » ?
On se demandera en conclusion quelle est la vision du Canada qui se dégage de cette mémoire patrimoniale, mémoire publique et officielle, institutionnelle et autorisée ? Il s’agira aussi de s’interroger sur la teneur patrimoniale des discours qui s’exposent sur le site en les départageant entre deux évaluations de la patrimonialisation galopante qui a marque l’entrée dans le deuxième millénaire. La première envisage l’entreprise patrimoniale comme figure du conservatisme culturel, comme production d’une unité du corps social; la deuxième avance plutôt que la démarche patrimoniale ne peut pas être appréhendée uniquement comme un moyen de produire du consensus, mais en tant que processus complexe qui unifie et divise tout à la fois en articulant les divergences. L’entreprise patrimoniale à l’ONF s’adosse-t-elle à un paradigme de consensualité (dont le but serait d’apaiser les conflits et les tensions dans une société à l’épreuve de la diversité culturelle), ou permet-elle un jeu complexe de sensibilités à l’égard du passé cinématographié canadien ?