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Séminaire régional sur le patrimoine industriel
Présence et sens de l’industrie en contexte postindustriel

On n’imagine pas le Vieux-Québec sans ses murs.

L’usine est à la cité industrielle ce que les remparts sont à la ville fortifiée, ou ce que la cathédrale est à l’urbanité. Depuis les villages ouvriers qui ont parsemé la planète aux « villes de compagnie » qui ont conquis le territoire et l’imaginaire du Canada, les infrastructures industrielles sont profondément intriquées dans l’image et l’expérience des établissements humains. Leurs silhouettes, leur ronronnement encore parfois, les paysages qu’elles jalonnent portent le sens et la différence des quartiers et des villes dont elles ont justifié la création. Leur fermeture, leur modernisation et simplement leur héritage soulèvent des enjeux patrimoniaux qui interpellent nos savoir-faire en matière de conservation architecturale, de patrimoine monumental, et même de requalification urbaine. Au cœur d’une région forgée par l’industrie et particulièrement symbolique, à cet effet, dans l’histoire québécoise et canadienne, ce séminaire porte sur l’interrelation entre la mémoire de l’industrie et la cité industrielle, aujourd’hui.

Si la conservation et la valorisation du patrimoine industriel regroupent depuis de nombreuses années des experts des quatre coins de la planète, les changements sociaux, les transformations plus récentes de l’industrie et les nouvelles approches et dispositions législatives en matière de conservation patrimoniale replacent en effet l’héritage de l’industrie au centre de l’actualité. Quel est le devenir urbain du patrimoine industriel?

Notre époque voit maintenant s’évanouir progressivement l’histoire de la deuxième révolution industrielle, amorcée au tournant du XXe siècle et marquée par son empreinte multiforme et diffuse sur le territoire, de hangars inhospitaliers aux cheminées fumantes, de maisons ouvrières, ici de barrages et de centrales, là de puits. Ici, l’héritage n’est plus seulement un fait de préservation de murs ou de machines : c’est un problème de corrélation formelle et signifiante avec l’établissement humain qui en est tributaire, lui-même bouleversé par de profondes mutations. Comment retisser et densifier les liens entre mémoire de l’industrie et la cité industrielle?

La reconnaissance et la conservation du patrimoine d’Arvida, qui ont ces dernières années entrainé un vaste mouvement populaire et scientifique et suscité plusieurs innovations de la recherche et de l’intervention en patrimoine, témoignent à bien des égards des nouveaux enjeux du patrimoine industriel. L’ancienne ville de compagnie aluminière, utopie socio-industrielle construite dans le deuxième quart du XXe siècle, a connu une véritable renaissance avec le tournant du XXIe siècle. Affligée, un temps, par la décroissance des emplois industriels et en proie à une crise identitaire, Arvida renoue avec son destin historique sous une formule qui se vérifie quotidiennement : « Un patrimoine de classe mondiale ». En quelques années, sur l’arrière-plan d’une stratégie de conservation et de valorisation dynamique et innovatrice, la « cité de l’aluminium » a vu son territoire protégé et reconnu par de nombreuses interventions de la municipalité et de ses partenaires, dont le ministère de la Culture et des Communications et Rio Tinto : la désignation du lieu historique national du Canada d’Arvida et la déclaration du site patrimonial d’Arvida par le gouvernement du Québec en sont deux marques visibles dans le contexte du dépôt de la candidature d’Arvida à la liste indicative du patrimoine mondial au Canada, dont le résultat sera connu en décembre 2017, ces jalons donnent aujourd’hui l’occasion de discuter des enjeux du patrimoine industriel (celui qu’on connait et celui qui est à venir) dans nos sociétés et dans nos paysages urbains contemporains.

Arvida est à la fois une cité historique, une industrie et un milieu de vie. Chacune de ces dimensions comporte sa part de défis et interpelle d’une manière spécifique les pratiques, les méthodes et les politiques dans le domaine du patrimoine. La conciliation de ces dimensions peut aussi soulever plusieurs questions : l’expérience d’Arvida a tout particulièrement permis, ces dernières années, de réfléchir à la conservation du patrimoine industriel sous l’angle de l’appropriation, voire de la participation sociale au patrimoine. Les maisons et le paysage résidentiel d’Arvida constituent d’ailleurs une particularité dans le corpus industriel, dont ces éléments, caractéristiques des « villes de compagnie », témoignent de l’évolution. Mais le fondement de la cité industrielle n’en reste pas moins l’usine, ou dans tous les cas, et c’est là un problème caractéristique de cet héritage, les manifestations diverses et éparpillées de la production industrialisée : épicentre de l’aluminium au milieu du siècle dernier, Arvida comporte en effet pas moins de deux usines, d’extraction et d’électrolyse, dont les quatre premières salles de cuves des années 1920 et une bonne part de celles qui ont jalonné l’épopée fantastique de la Seconde Guerre, enchaînées à trois centrales hydroélectriques historiques (pour ne mentionner que celles qui sont directement reliées à son destin) qui ont fait les couvertures des revues de génie et d’architecture, ainsi qu’un pont routier d’aluminium, d’ailleurs reconnu au titre de monument national du génie civil; les techniques de fabrication de la « ville construite en 135 jours » elles-mêmes participent de l’héritage de cette industrialisation.

Si Arvida et les villes de compagnie permettent ainsi de repenser les théories, les pratiques et les politiques du patrimoine industriel, ces villes de compagnie interpellent aussi de façon différente l’héritage de l’industrie comme il était connu au XXe siècle. La gloire solitaire des "châteaux de l’industrie" a peu d’écho dans l’héritage des industries qui ont aussi bâti des villages et des villes, dont les souvenirs vivants s’embrument de surcroît, surtout après les fermetures, de réminiscences de conflits de travail ou de la réputation sanitaire ou écologique néfaste de tel ou tel processus ou produit. Les infrastructures industrielles démultipliées qui constituent le cœur et la fondation identitaire de tels ensembles soulèvent ainsi plusieurs enjeux, dès lors que la production cède la place à d’éventuelles interrelations entre l’héritage de l’industrie et la population qui l’habite, le fréquente ou l’entoure. Comment préserver la présence de l’usine dans un milieu de vie, y compris advenant l’arrêt de son activité industrielle? Comment intégrer la valorisation de telles infrastructures industrielles et de celles qui ont jalonné la production industrielle et celle du patrimoine plus « soft » constitué de parcs, de rues commerciales ou de maisons? Tandis que la figure des usines reste familière pour les travailleurs et les habitants de la ville de compagnie, elle ne l’est pas, ou si peu, pour la personne postindustrielle, nouveau résident ou touriste : comment en transmettre la présence, historique ou réelle, et la signification?

Bref, comment l’aménagement matériel et paysager, l’usage et la requalification ou encore les politiques, les plans de développement, la muséographie ou toute autre approche peuvent-ils constituer et densifier une interface entre des infrastructures industrielles patrimoniales et leur environnement physique, économique, social et humain?

Tenu à Arvida, dont la cité historique, l’industrie et le milieu de vie serviront de toile de fond à ses discussions, ce séminaire régional sur le patrimoine industriel veut mettre en perspective les enjeux régionaux et les expériences mondiales en matière de valorisation du patrimoine industriel, tout particulièrement sous l’angle de la présence urbaine, de l’appropriation sociale et des moyens économiques, ethnographiques, politiques, architecturaux, paysagers, communautaires ou touristiques qui permettent d’y parvenir. Des personnalités scientifiques de calibre international, des chercheurs, des intervenants et des représentants d’entreprises et de gouvernements du Québec et d’autres régions du monde y partageront leurs savoirs et leurs expériences afin de dégager des pistes de solutions aux problèmes vécus à l’échelle locale.

Fantômes ou zombies: quelles seront les formes de notre héritage industriel? Peut-on, à l’horizon 2020, rendre les usines aimables?

Description et argumentaire