De l’histoire de vie au projet de vie : l’exemple d’une pratique clinique en terrain sensible (J3S6)
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Les traits dessinant sommairement le profil des jeunes des quartiers pauvres de Port-au-Prince rappellent :« l’abandonabsolu», les manques, l’attente désespérée, la honte et l’opacité du lendemain. Ils sont littéralement parqués, emmurés dans un entre-soi ghettoïsant (Corten, 2006; Wacquant, 2008) et soumis à la pesanteur d’un quotidien d’urgence et de risques permanents.
Ces jeunes qui vivotent avec l’impression constante d’être fauchés par un destin qui les confine en dehors de l’histoire, ne souffrent pas uniquement des conditions matérielles extrêmes de leur existence. L’autre nom de leur souffrance, à la fois sociale et psychique, c’est le désespoir. Ce qui leur obstrue toutecapacitéde projection dans le futur et limite leurs aspirations sociales. Ils sont en « fatigue desoi »(GaulejacetLegrand, 2008). Malgré tout, ils veulent vivre et être reconnus comme des êtres humains à part entière.
C’est en tenant compte de cet ultime élan de survie de ces jeunes que l’Unité Psychosociologique de Recherche et d’Intervention Clinique (UPRIC), leur a offert ces quatre dernières années un accompagnement socio-clinique à partir de son modèle RSP.
Le modèle RSP (se Rappeler, se Situer, se Projeter) est un cadre d’intervention psychosociologique qui se situe dans l’environnement épistémologique de la sociologie clinique et des acquis de la psychologie communautaire. Il s’appuie sur l’histoire personnelle et familiale des individus pour les aider à objectiver leur vécu dans une perspective intergénérationnelle et sociohistorique, et découvrirles possibilités d’action et de projection dans l’avenir. Il s’agit d’aider l’individu à partir d’une nouvelle compréhension de son histoire personnelle à saisir les possibilités de se réapproprier de son « pouvoir d’agir », d’avoir une meilleure maitrise de sa situation de vie. Les dynamiques mémorielles, imaginaires et identitaires sont alors évoquées dans une visée« d’inventiondesoi »(Kaufmann, 2004) de l'individu saisi comme être socio-historique capable d'advenir avec les autres comme SUJET. Ce dispositif d’intervention entend, en ce sens, accompagner ces jeunes dans la reconnaissance, l’interprétation et l’appropriation de ce qui les détermine afin qu’ils puissent se reconstruire et se projeter.
Ce symposium propose de partager un retour réflexif sur cette expérience que nous avons réalisée avec les jeunes de Cité de Dieu (Port-au-Prince, Haïti), particulière par le poids des contraintes du contexte et le profil des sujets. Ceci nous a poussé en tant que cliniciens à réinventer sans cesse nos méthodes et réajuster nos techniques. Ce sont ces différents aspects qui seront analysés à travers les quatre communications que nousproposerons :
1. Une analyses des difficultés liées à la construction du lien de confiance entre les chercheur.e.s, etles sujets-participants.
2. Le genre dans le récit de soi des jeunes filles du Cité. L’extrême importance de la présentation de soi et de la réputation chez elles.
3. Analyse des défis à la mise en récit de soi des jeunes précarisés des quartiers populaires de Port-au-Prince.
4. Les effets paradoxaux de la résonance biographique du récit de soi dans le contexte d’un dispositif groupal.