11.30 Entre pertes et régistres : Processus de patrimonialisation chez les Ye’kuana au Brésil
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Au Brésil, les Ye’kuana (Karib) comptent une population de quelque 600 personnes. Leurs villages se trouvent dans la Terre Indigèna Yanomami, État de Roraima (RR), près de la frontière avec le Venezuela, pays où habite la majorité de ce peuple. Actuellement, la population du côté brésilien se distribue entre quatre villages principaux, au bord des fleuves Auaris et Uraricoera. La langue maternelle est très vivante et utilisée dans les villages et en ville, à Boa Vista, capitale du Roraima, où circulent des élèves du secondaire et des étudiants universitaires, généralement des jeunes Ye’kuana, la plupart du sexe masculin. Leur langue inclut des chants et des enchantements pratiqués par des spécialistes, hommes et femmes, dans plusieurs rituels réalisés tant dans les villages qu’en ville. La transmission de ces savoirs exige une relation qu’il faut construire entre un maître et un apprenti, en vis-à-vis. Cela fait déjà quelques dizaines d’années que l’écrit a été incorporé dans ce processus de transmission des chants, mais plus récémment de nouvelles ressources numériques, notamment des enregistreurs, sont graduellement incorporés dans ce processus. Parallèlement, surtout au cours des dernières années, de jeunes étudiants universitaires Ye’kuana, incités par un discours marqué par la perte de la culture, se mobilisent dans des travaux d’enregistrement de ces savoirs, avec l’intention d’en sauvegarder une partie dans des registres soit écrits, soit numériques, dans le cadre de leurs travaux universitaires. Au cours de ce processus, des chants spécifiques de certains rituels (construction de la maison, ornement des filles par des perles après la période de « resguardo de la ménarche », deuil, entre autres) ont été enregistrés, ainsi que des histoires sur l’origine d’objets ou de plantes. Ces travaux, tous différents les uns des autres, composent une mosaïque fusionnée par la crainte de perte de la culture. La rédaction et la reproduction de manuscrits des chants ont été pratiquées depuis des décennies par les chanteurs traditionnels. L’élément de nouveauté repose dans les initiatives des étudiants universitaires indigènes qui les utilisent pour leur mémoire de fin d’études. Par ailleurs une nouvelle méthodologie est prévue pour être adoptée dans les écoles indigènes, basée sur des entrevues avec les spécialistes des villages et visant à alimenter le « registre de la culture régionale ». Toutefois, les manuscrits des chants et la nouvelle méthodologie des écoles et des universités sont des initiatives différentes, même si elles utilisent des ressources similaires, comme le registre écrit, oral et/ou visuel. Si les étudiants des écoles s’intéressent beaucoup à contrer la perte de la culture, traditionnellement les études suivaient encore la logique de la relation en vis-à-vis, c’est-à-dire le processus de transmission des savoirs. Les travaux universitaires toutefois sont déjà insérés dans un autre contexte beaucoup plus associé à la patrimonialisation de la culture.
Bien que les initiatives des élèves universitaires ne soient pas directement liées à un processus officiel des agences gouvernementales du patrimoine, on remarque qu’une certaine politique de patrimonialisation est déjà en cours chez les Ye’kuana au Brésil. Dans ces initiatives la culture a été traduite par la production d’objets, par les rituels, et par la langue maternelle, surtout les chants. Dans ce processus d’« objetification » de la culture, les processus de transmission des savoirs sont moins visibles, en partie à cause de la logique patrimoniale du registre d’une culture considérée en processus de perte ou d’affaiblissement. Nous nous proposons dans notre présentation d’approfondir les potentiels et les contradictions de ces initiatives, entre un savoir encore vivant et le discours de la perte culturelle.