11.05 La patrimonialisation des fêtes de boisson chez les Suruí du Rondônia (Amazonie brésilienne)
Mon statut pour la session
Quoi:
Paper
Quand:
11:00, Samedi 4 Juin 2016
(30 minutes)
Où:
UQAM, pavillon J.-A. De Sève (DS)
- DS-1520
Dès que les Suruí ont besoin de montrer aux autorités brésiliennes ou à des étrangers qu’ils possèdent une « culture » singulière, justifiant des droits et des demande de soutiens, c’est vers une pratique rituelle, la fête de boisson, qu’ils se tournent systématiquement, comme de nombreuses autres populations d’Amazonie amérindienne. Ce choix s’explique en partie par des contraintes externes : la fête de boisson permet de produire et manipuler des choses qui apparaissent (ou sont jugées susceptibles d’apparaître) aux yeux des Blancs comme des marques d’indianité et des supports de « culture » (produits artisanaux, peintures corporelles, etc.). Mais un examen attentif de cette pratique rituelle, à la fois par la reconstruction de sa logique traditionnelle et par l’observation de sa mise en œuvre actuelle, montre que ce choix s’enracine aussi dans des facteurs internes. Ceux-ci sont de deux ordres au moins. Il s’agit d’une part de l’interprétation que les Suruí font de la notion de « culture » : ce terme est traduit en suruí par des concepts qui présupposent toujours une rivalité entre divers groupes pour la reconnaissance de cette « culture », qui est supposée exprimer les savoirs les plus valorisés, notamment à travers la composition de chants. Or la fête de boisson était traditionnellement l’une des pratiques les plus à même d’exhiber ces savoirs. D’autre part, ces raisons s’enracinent dans la dynamique même de ce rituel. La fête de boisson traditionnelle s’inscrivait dans les tensions à la fois entre factions, et au sein de ces factions entre générations, entre jeunes hommes ambitieux et aînés établis. Or les fêtes destinées à montrer la « culture suruí » réarticulent ces deux rivalités, par les rivalités entre villages et par les rôles que la patrimonialisation assigne aux générations (anciens dépositaires des savoirs propre à la « culture », jeunes contrôlant les relations avec les Blancs). En outre, la mise en spectacle de la fête devant les Blancs constitue en elle-même un processus inscrit dans la logique de la fête traditionnelle, et ce d’abord parce que les Blancs y occupent la position clé de spectateurs attestant de l’intérêt des actes festifs et du savoir rituel des participants. Enfin, le processus de patrimonialisation exige de nouveaux savoirs, comme la capacité à fixer par des enregistrements audio ou vidéo l’événement festif et la démonstration de la possession de la « culture » suruí par telle ou telle faction. En effet la circulation de ces enregistrements au sein du groupe suruí est devenue un enjeu central dans cette pratique. Cependant cette captation et cette circulation doivent s’insérer dans les rivalités politiques traditionnelles. Ainsi, loin d’être une dévitalisation de la « culture », la patrimonialisation peut apparaître en ce cas comme un processus qui obéit à une logique culturelle propre, s’inscrivant dans un régime de savoirs préexistant aux exigences contemporaines d’exhibition du patrimoine culturel.