Vers un nouveau rôle de l’héritage minier à Saint-Etienne (France) ? Chronique de la fabrique d’un territoire en quête de récit
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Haut lieu de l’activité industrielle en France (Merley, 1990), le bassin industriel de Saint-Etienne, est aujourd’hui encore marqué par cette épopée manufacturière. Malgré une phase de deuil débutant à la fin des années 1970, les acteurs locaux éprouvent encore des difficultés à prendre en compte ces artefacts miniers dans leurs politiques territoriales (Rojas, 2013 ; Gay et Morel Journel, 2000 ; Tibi, 1997). Entre ressource, contrainte, risque, agrément (Berque, 2018), l’héritage matériel et immatériel du système minier local est un élément contesté dans la construction d’un paysage culturel post-minier (Laffont & Rojas, 2020). Selon nous, l’étude du paysage post minier en général et plus particulièrement celui de la Vallée de l’Ondaine, partie sud du bassin, permet de venir nourrir le débat que propose le congrès 2021 de TICCIH à la fois de manière rétrospective et prospective. Sur la base d’une méthodologie croisant un inventaire photographique, la mobilisation d’archives provenant des fonds locaux et nationaux et d’articles scientifiques à l’analyse de témoignages d’acteurs locaux et d’habitants, notre proposition vient rendre compte des processus de normalisation, régulation, conflits et résistances qui ont été et sont à l’œuvre dans les liens qui se sont tissés entre héritages miniers et développement du territoire. Tout d’abord, notre étude vise à d’une part révéler l’épaisseur historique, géographique, mémorielle, politique et sociale de ce territoire et, d’autre part, à éclairer les mécanismes d’effacement, de survalorisation, d’abandon, d’attente liés à cet héritage minier qui ont produit ce paysage (Deshaies, 2007). Puis, nous explorerons les enjeux et dynamiques actuels qui traversent ce territoire. En effet, depuis la volonté affichée par les élus de la communauté urbaine d’obtenir le label Pays d’Art et d’Histoire, il semblerait que cet héritage minier se trouve rechargé d’un nouvel imaginaire au profit d’un nouveau récit de territoire. A la lumière de la révélation de cette épaisseur, l’inclinaison actuelle met aujourd’hui tous les acteurs locaux, qu’ils relèvent des champs politique, économique, associatif, scientifique, etc., dans une situation quelque peu paradoxale. En effet, dans un même espace-temps, dans une même scène territoriale, se trouvent deux visions antagonistes qu’il sera difficile de faire converger : un bâtis de production et de direction, désaffectés ou réaffectés, legs de ce complexe physionomique (Sorre, 1943), que les édiles, à des fins de développement cherchent aujourd’hui à valoriser et d’un autre côté, tout un monde matériel de l’ordinaire, logements, églises, écoles, salles communes, etc., que certains habitants, associations et érudits locaux veulent eux aussi hissés au rang de patrimoine Dès lors, s’engage à Saint-Etienne, de manière affichée ou plus discrète, de conflictuelles narrations patrimoniales. Tout l’enjeu réside donc, au-delà d’une convergence d’intérêts de façade pour l’obtention du label, en la capacité de construire une communauté patrimoniale (Morrisset, 2018). Ainsi, dans le processus de reconversion économique toujours en cours, de renouvellement d’image que connait le territoire de Saint-Etienne, l’importance des enjeux environnementaux, mémoriels, identitaires vient redonner à ces héritages une dimension et une épaisseur historique et communautaire. Par cette étude de cas, notre proposition souhaite venir discuter du rôle et du statut du fait « industriel » dans sa globalité et ses temporalités, dans la fabrique contemporaine des territoires face aux enjeux et défis du monde de demain.