Usages, finalités et acceptabilité des récits patrimoniaux de la grande distribution : le cas du groupe Casino en France
Mon statut pour la session
Quoi:
Paper
Quand:
12:00 PM, Mardi 30 Août 2022
(20 minutes)
Où:
UQAM, pavillon J.-A. De Sève (DS)
- DS-1570
La crise du Covid-19 met en évidence le caractère indispensable de certaines activités dans nos sociétés industrielles contemporaines, dont la grande distribution. Ceux qui quotidiennement œuvrent pour nourrir la société ainsi que les lieux associés (usines, entrepôts, locaux commerciaux, etc.) sont autant emblèmes de notre culture que témoins de ce que certains nomment déjà la « vie d’avant ». Cette charge symbolique n’est pas nouvelle mais elle autorise un questionnement sur la patrimonialité de ces hauts lieux, objets, pratiques, techniques de la société de consommation, restés en dehors de la déferlante patrimoniale(1) (CHOAY ; MORISSET). Au-delà de la question de la conservation, se posent celles de notre capacité à accepter ces lieux, objets et pratiques dans le champ patrimonial, et de l’usage qui peut en être fait par les entreprises concernées et les collectivités locales (FABRE ; MORISSET). Il nous semble que la culture d’entreprise, la stratégie managériale et commerciale du
groupe Casino, l’un des géants de la grande distribution, permettent une réflexion à plusieurs niveaux : les usages et les finalités patrimoniales par et pour le groupe, l’acceptabilité de ce patrimoine matériel et immatériel par la société, sa mobilisation dans le projet de territoire de Saint-Etienne.
Dès son origine, en 1898, Casino a combiné fabrication et vente, développant ainsi une stratégie commerciale originale fondée sur un réseau de succursales irriguant le territoire mais aussi distribuant les produits fabriqués dans ses usines (LONDEIX). Casino théorise sur l’esprit de famille (ZANCARINI-FOURNEL) et inscrit ainsi sa politique managériale et communicationnelle sur les topiques historiques, mémoriels et patrimoniaux. Très tôt à la demande des dirigeants, des fonds dits patrimoniaux ont été constitués, témoignant de l’usage stratégique de ce qui fait, pour elle, patrimoine (2) . Casino a produit à la fois un imaginaire technique (GARÇON), un patrimoine immatériel (répertoires de pratiques, gestes, techniques, savoir-faire) et matériel (denrées, magasins, usines, cafétérias) qui anime récit et développement de Saint-Etienne (3) . Autant de (auto)narrations patrimoniales enchevêtrées (CHOUTEAU, NGUYEN) : une multiplicité d’usages et de finalités patrimoniales se conjuguent
chez Casino sur plusieurs registres impactant aussi bien la politique et stratégie globale de l’entreprise que le rapport des communautés à ses biens (meubles et immeubles) de consommation.
Notre approche, fondée sur l’étude croisée des archives de l’entreprise, d’articles de presse, des actions municipales et de témoignages d’acteurs, souhaite proposer au débat des éléments sur les questionnements et enjeux actuels autour de la place du patrimoine de ces entreprises agro-alimentaire et de distribution.
Notes:
(1) En France, par exemple, un seul supermarché est inscrit à l’inventaire des Monuments historiques :le supermarché de Sens construit par Claude Parent.
(2) L’entreprise a opéré notamment ces dix dernières années de nombreuses actions pour mettre en scène et capitaliser sur son patrimoine : dépôt de ses archives à la Ville de Saint-Etienne en 2016, expositions (2007, 2011, 2019), opérations marketing autour de packaging vintage, lancement d’une gamme « Guichard Perrachon 1898 » en hommage aux fondateurs de l’épicerie d’origine.
(3) Cet héritage bâti lui-même pose question en tant que témoin potentiel de notre civilisation industrielle. Ainsi, la transformation de la première épicerie du groupe (devenu entre-temps la première cafeteria urbaine du groupe) en une librairie a également soulevé un vif débat local en 2002, et la destruction par la ville de Saint-Etienne en 2011 d’une passerelle, surplombant la rue et reliant l’ancien siège de Casino au bâtiment plus moderne a créé une véritable polémique autour de ce que certain estimait être un marqueur de l’identité de la ville.
Bibliographie :
CHOAY F., Le patrimoine en question. Anthologie pour un combat, Paris, Seuil, 2009.
CHOUTEAU M., NGUYEN C., Mises en récit de la technique. Regards croisés, Archives contemporaines, 2011.
FABRE D. (dir.), Émotions patrimoniales, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2013.
GARÇON A-F., L’imaginaire et la pensée des techniques, Une approche historique, XVIe-XXe, Paris, Classique Garnier, 2012.
LONDEIX O., Du client au consommateur : Casino, une chaîne succursaliste alimentaire française (1898-1960), thèse de doctorat (dir. Sabine Effosse), Université Paris Nanterre, 2018.
MORISSET L. K., Des régimes d’authenticité. Essai sur la mémoire patrimoniale, Montréal et Rennes, Presses de l’Université du Québec et Presses universitaires de Rennes, 2009.
ZANCARINI-FOURNEL M., « La famille Casino – Saint-Étienne, 1920-1960 » in Y. LEQUIN, S. VANDECASTEELE (dir), L’usine et le bureau. Itinéraires sociaux et professionnels dans l’entreprise XIXe et XXe siècles, Lyon, PUL, 1990, p. 57-74.