Enjeux écologiques et citoyens de la définition patrimoniale des hybrides : le cas de la Boucle Noire à Charleroi
Mon statut pour la session
Quoi:
Paper
Partie de:
Quand:
3:30 PM, Lundi 29 Août 2022
(20 minutes)
Où:
UQAM, pavillon J.-A. De Sève (DS)
- DS-R515
Comme l’ensemble des villes situées sur le « croissant industriel » ouest-européen, le pays de Charleroi (appelé aussi Pays Noir) a vécu l’arrêt progressif de son activité minière à partir du milieu du XXe siècle. Les terrils constituent aujourd’hui les vestiges les plus visibles de cette activité industrielle. Laissés à l’abandon à la fermeture des mines, ces montagnes de déchets miniers ont été depuis investies par une faune et une flore pionnières qui en font aujourd’hui des réserves de biodiversité. Le bassin de Charleroi en compte une cinquantaine, dont une douzaine voisinent directement le centre urbain.
Ces terrils jouxtent pour la plupart d’anciens quartiers ouvriers. Majoritairement situés sur des terrains privés, ils n’ont pas été, jusqu’il y a peu, accessibles au public. Toutefois, depuis les années 2000, une série d’initiatives citoyennes ont abouti à l’ouverture de chemins d’accès et au développement d’activités associatives sur certains sites.
En 2014, une association citoyenne a ouvert et défriché un chemin de randonnée de 23 kilomètres, qui traverse le centre-ville et parcourt la plupart des terrils situés à proximité. Ce chemin, intitulé la Boucle Noire, a demandé un important travail de négociation avec les propriétaires privés des sites traversés. Encouragé par les autorités et identifié comme un atout touristique, il ne bénéficie pourtant à ce jour d’aucun financement propre pour assurer sa maintenance, et ce malgré une fréquentation importante. Par ailleurs, le statut privé des nombreuses friches traversées fragilise sa perennité et son intégrité paysagère.
La valorisation institutionnelle en tant que patrimoine de ce parcours et des sites qu’il traverse pourrait permettre sa perennisation et son développement. Toutefois, la nature hybride des critères de valorisation de la boucle rend difficile son inscription dans les canevas institutionnels. La boucle n’est pas qu’une addition de sites paysagers et industriels, mais constitue un trajet continu qu’il s’agit de qualifier en tant qu’ensemble. Réserve de biodiversité, elle est aussi un paysage dont la valeur symbolique tient à la présence de ruines industrielles. Objet à préserver, elle est aussi un support de pratiques individuelles et collectives. Quant aux terrils, ils constituent à l’origine une pollution, mais leur présence dans le temps long leur confère progressivement le statut de sites naturels. Leur morphologie ne relève pas d’une intention architecturale, mais leur identification en tant que vestiges d’une histoire les charge d’une signification symbolique qui les assimile à des
monuments. Le caractère de ces objets hybrides tient donc à la conjuguaison de facteurs multiples qui, pris isolément, ne peuvent suffire à en déterminer la valeur.
Pour étudier la nature de ces objets et leur possibilités de reconnaissance en tant que patrimoine commun, nous proposons d’en opérer le décodage en croisant deux grilles de lecture :
Premièrement, leur étude à travers la notion de quasi-objet telle que théorisée par Bruno Latour, ainsi que la caractérisation des identités entre humaines et non humaines telle que développée dans la théorie de l’acteur-réseau (Latour) ou chez Philippe Descola.
Ensuite, la considération du système urbain constitué par la boucle au regard du droit à la ville tel que théorisé par Henri Lefebvre, et singulièrement à travers la notion de ville en tant qu’œuvre, qui éclaire les enjeux mémoriels et affectifs qu’elle véhicule.
En appui sur ces conceptions, et en alternative à un classement institutionnel qui aurait pour objet la seule conservation de ses caractéristiques historiques et biologiques, la boucle pourrait se concevoir comme l’amorce d’un processus évolutif de recréation de communs territoriaux dans le Pays Noir, dans une visée écologique et citoyenne. Cette démarche pourrait s’inscrire dans le cadre des nouvelles politiques urbaines suscitées par la crise climatique et, plus largement, par le contexte de l’anthropocène.