« Le Diable lui-même est dans la maison » : Post-préservation du patrimoine industriel d’une communauté autochtone Quechua du Nord du Chili
Mon statut pour la session
Quoi:
Paper
Quand:
11:00 AM, Mardi 30 Août 2022
(20 minutes)
Où:
UQAM, pavillon J.-A. De Sève (DS)
- DS-R515
Cette communication présente le projet archéo-historique « Proyecto Arqueológico Alto Cielo », un projet réalisé dans la communauté Autochtone Quechua d’Ollagüe, dans la région d’Antofagasta, au Nord du Chili, et visant à documenter les vestiges industriels de l’extraction du soufre datant entre 1887 et 1993.
Ollagüe est situé à 3 660 mètres d’altitude dans une municipalité s’étendant sur un territoire de 2 912 km². Au sein de ce paysage orné de salars et de volcans, Ollagüe fut témoin des conséquences complexes de l’expansion capitaliste et de l’industrialisation au Chili. Y fut mis en place, au cours du XXe siècle, un modèle économique moderne basé sur l’exploitation de mines de soufre, modèle provoquant des changements importants dans les modes de vie de la communauté autochtone locale. Aujourd’hui, grâce aux récits oraux des anciens ouvriers et leurs familles, les sites d’exploitation minière sont les repères importants de la mémoire du XXe siècle.
Si cette région était historiquement un point de transit et de trafic, elle a souvent été comprise comme un « espace vide », dû principalement à sa situation périphérique aux grands développements culturels des régions adjacentes. À partir de la fin du XIXe siècle et à la suite de la Guerre du Pacifique (1879-1884) qui opposa le Chili au Pérou et à la Bolivie, la région d’Antofagasta poursuivit un long processus d’expansion capitaliste, avec pour moteur diverses industries minières extractives (argent, salpêtre, cuivre et soufre, entre autres). La région fut ainsi le théâtre d’une vaste migration provoquée par les moyens et grands centres miniers. De nouveaux établissements entraînèrent une augmentation de la population et générèrent une demande de produits, de services et de main-d’œuvre. Avec le reste de la région, Ollagüe participa à ces changements démographiques et socioéconomiques. L’imposition d’un nouveau modèle d’accumulation économique, lié aux circuits du commerce
capitaliste mondial, impliqua l’incorporation de la population locale comme main-d’œuvre dans la croissante industrie minière du soufre.
Ollagüe reste donc un témoin de la mise en place d’un modèle d’exploitation économique moderne, basé sur l’exploitation de ses mines de soufre au cours du XXe siècle. Des icônes de ce processus sont les anciens camps où l’on trouve aujourd’hui les ruines abandonnées des installations industrielles. Si elle constitue un élément essentiel dans la construction des pratiques sociales, de la mémoire historique et de l’identité, l’histoire de l’industrie du soufre demeure largement inexplorée. En combinant les sources matérielles avec les sources écrites et orales, cette recherche se concentre sur l’analyse de la manière dont l’expansion capitaliste par l’industrie du soufre s’est matériellement exprimée dans l’espace, et comment cet espace matériel, à son tour, a contribué à définir et à constituer « l’espace social industriel » d’Ollagüe.
Cette présentation propose le concept de « cicatrices matérielles » pour évaluer l’applicabilité de la notion de post-préservation. Les sites industriels abandonnés d’Ollagüe sont explorés afin d’exposer les paradoxes des politiques patrimoniales, en concentrant l’analyse sur les interstices temporels entre l’orientation idéale de préservation (l’authentique), et la réalité inhérente à la dégradation de ces sites miniers industriels (la décadence). À partir de cette recherche sur le patrimoine d’Ollagüe, nous soulignons l'importance de la matérialité industrielle et son rôle dans la mémoire collective de la communauté locale.